ROMANS : "LA GÉOMÉTRIE DES POSSIBLES" ET "COMMENT J'AI RETROUVÉ XAVIER DUPONT DE LIGONNÈS"

EDOUARD JOUSSELIN, ROMAIN PUÉRTOLAS


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Deux pans de la littérature en battle

ou quand la fiction ne dépasse pas la réalité


La Géométrie des possibles et Comment j’ai retrouvé Xavier Dupont De Ligonnès" Auteurs #DestinsCroisés #Société #Ambitions #Mensonges #Fatalité #DeLigonès #Famille #Meurtres #Mystère #Enquête



Introduction


Chroniquer les livres d’auteurs que l’on connait, autant dire des amis », est délicat, d’autant plus quand ils sont charmants et talentueux et qu’on a apprécié leur premier roman : « Les Cormorans », pour Edouard Jousselin (Rivages, 2020), que nous avons commenté ici, et « L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté enfermé dans une armoire Ikéa » (déjà, le titre est génial, mais en plus il l’a écrit sur son… téléphone, en moins d’un mois !). Pas question de verser dans le vulgaire « renvoi d’ascenseur » (qui ne revient pas toujours, en plus…). Je suis « pro », et passionné de littérature avant tout. Je vais donc faire mon boulot du mieux que je peux, en tachant d’être juste, de manière subjective (car ce n’est « que » mon avis), sans être blessant. Même si je ne suis pas totalement convaincu par l’ensemble de leurs ouvrages respectifs.


Commençons par le plus jeune, Edouard Jousselin (32 ans), qui m’avaient bluffé, en débarquant avec « Les Cormorans » (Rivages), qui devait s’appeler « Guano », sur les plates-bandes de Conrad et Stevenson, rien que ça. Une réussite ! On aurait cru le roman d’un vieux loup des mers, genre Francisco Coloane, le chilien. Feu Michel Le Bris, le pirate du Festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo, aurait beaucoup aimé.

 

Cette fois, il change radicalement de cap avec « La Géométrie des possibles ». Le titre sent la prise de tête intello, chère aux Inrocks, Libé, Télérama, etc… J’ai été sceptique d’emblée. Puis j’ai commencé à lire, et ai été à nouveau émerveillé par sa plume. Il a un don. Mais, car il y a un mais… Comme pour un match de l’AJ. Auxerre, dont il est supporteur, l’essentiel est de tenir sur la longueur. Or, déjà, le pitch donne mal au crâne : « Quel fil invisible relie un ancien résistant, une starlette de la téléréalité, un père de famille américain, un couple d’étudiants appliqués, un migrant mexicain et une jeune mère au bord de la crise de nerfs ? Aucun en apparence, et pourtant. Des forces mystérieuses tressent leurs vies pour les plonger dans la tourmente, hantées par l’ironie de l’Histoire, son cours impitoyable. Leurs ambitions cohabitent avec le mensonge et la fatalité les attend au tournant. » C’est celaaaaa, ouiiiii.


Romans Edouard Josselin, Bret Heaston Ellis, Cormac Mc Carthy

L’éditeur nous refait le coup du roman polyphonique. De « l’œuvre-monde » foisonnante, soit une « chronique vertigineuse » de notre époque, thème cher aux américains. S’il l’était, natif du pays d’oncle Sam (Edouard est fan de NBA, le championnat de basket US), on crierait au génie. Il serait comparé à Jonathan Franzen et Bret Easton Ellis. Sauf que moi, passer des brumes du Morvan aux plages de Californie, puis des profondeurs du Darkweb aux paillettes d’Hollywood, où « espaces et temps se télescopent, selon les lois d’une énigmatique géométrie des possibles », ça m’a laissé froid, dès les premiers dialogues. Trop longs, bavards, et souvent insignifiants… On est loin du Loup des Mers et de Martin Eden, de Jack London, dont il s’est étrangement éloigné.

 

Qu’il lise, ou relise, Cormac McCarthy et Ernest Hemingway, voire le grand Joseph Conrad, et il comprendra ce que je veux dire. La théorie de l’iceberg, imagé par « Papa », stipule que la partie immergée doit être plus importante que la partie émergée, même si elle semble imposante : « Le plus sûr des mutismes n’est pas de se taire, mais de parler », disait Kierkegaard. Il eut fallu couper, dégraisser, bref retravailler. Le sujet est ambitieux mais les bavardages convenus ne sont pas à la hauteur du propos, à mon humble avis.


Romans Ernest Hemingway, Joseph Conrad, Jack London

Les histoires de « particules élémentaires », la mise en abîme, Houllebecq nous a déjà fait le coup. Ça rappelle la théorie des « six degrés de séparation », (appelée aussi « théorie des poignées de main »), bref, chacun d’entre-nous est possiblement relié à n’importe quel autre, au travers d’une chaine de relations individuelles comprenant aux plus six maillons. Moi, par exemple, connaissant Florian Zeller, je suis à une poignée de mains d’Antony Hopkins, qui joue dans ses films, ou de… Sarkozy (sa femme est la meilleure amie de Carla Bruni). Surtout si on a vu les films du géorgien Otar Iosseliani (1934-2023), qui avait réalisé un long-métrage sur ce thèmes des croisements fortuits (ou pas, mektoub !) : « Les Favoris de la lune »… Le talent est là, évidement. Il est presque trop « facile ». Mais le passage au deuxième roman, pondu trop vite, dans la foulée du premier, est en général un écueil presque inévitable. Il eut fallu être plus patient. Mais bon, Edouard Jousselin n’écrit pas le même « genre » de roman. C’est un bon point. Gageons que le troisième sera au-dessus des deux premiers et confirmera cet adage de « footeux » : Un bon tacle, franc et « viril », vaut mieux qu’un compliment hypocrite.


Derniers hommages à Agnès de Ligonnès et ses enfants.
Derniers hommages à Agnès de Ligonnès et ses enfants.

Voici le tour de Romain Puértolas (48 ans), l’homme qui a la baraka et un bon karma (il est audacieux, donc chanceux). Ex-flic (aux Frontières), il est également malin, malicieux : « La photo a fait le tour du monde : Xavier Dupont de Ligonnès retirant 30 euros à un distributeur automatique du sud de la France, quelques jours après avoir « supposément » assassiné de sang-froid sa femme, leurs quatre enfants et leurs deux chiens. Pour moi, ce fut un choc, explique-t ‘il (…). Cette histoire m'obsède depuis 2011. Treize ans ont passé sans que je cesse une seule seconde de penser à lui. Je suis capitaine de police et écrivain, la combinaison parfaite pour me lancer dans de ses suppositions, voire de son intuition, son instinct de chasseur rigoureux, l'enquête de ma vie. Ligonnès hante mes jours et surtout mes nuits. Il n'y a qu'une seule manière pour que je mette fin à cette torture, retrouver Xavier Dupont de Ligonnès… » Ta ta tiiinnn ! Ça c’est du teasing de malade.


BD La Traque
© Éditions Petit à petit

Or donc, dans ce « roman-quête » (annoncé), Romain Puértolas lie avec brio une rigoureuse investigation policière à une fiction aussi étonnante que « jubilatoire » (le mot magique est lâché), révélant, peut-être, le fin mot d'une déroutante affaire judiciaire. Une fois encore, je vais me faire l’avocat du diable. Car si son enquête est passionnante, c’est essentiellement un résumé des faits connus (que l’on peut déjà lire dans « La Traque », BD parue aux Editions Petit à Petit), agrémenté de ses suppositions, voire de son intuition d’ex-flic. Cette partie-là est précise et entraînante. Ça se laisse lire. Un vrai page-turner : chapitres courts, rebondissements annoncés en fin de chapitre. Tout y est. C’est bien ficelé, mais pas pesé.

 

L’intrigue fictionnelle est bancale. Mais comment faire rire (c’est pourtant son cœur de métier d’auteur) avec un père de famille détraqué, imbu de lui-même au point de massacrer ses enfants, de sang-froid, après avoir suggéré à son meilleur ami de « baiser » sa femme sous ses yeux. C’est là que le bât blesse. Ce fils de catho intégriste est un grand malade, un mytho complet, et s’il est effectivement vivant, comme on peut le penser, sous une fausse identité, je ne vois pas comment l’auteur (ancien policier de surcroit) pourrait envisager l’idée même de boire un Ricard avec lui, près de sa propre famille, à Malaga… Les dangers publics, on les met hors d’état de nuire. Et surtout pas avec un couteau à beurre.

 



Famille de Ligonnés reposez en paix

J’en ai déjà trop dit. Le problème, c’est que c’est basé sur une histoire vraie , comme l’était celle de Jean-Claude Romand, qui fit croire qu’il était chercheur à l’OMS, avant de tuer femme, enfant, parents et chien… Comme Dupond De Lingonès (qui a épargné sa dingue de mère, le père étant déjà mort). Ça avait donné un récit haletant d'Emmanuel Carrière... alors qu'on connaissait la fin. La preuve, s'il en était besoin, qu’une bonne idée, une bonne histoire, ne font pas forcément de bons livres. Après, il faut savoir ce que l’on cherche : loisir-détente ou littérature qui donne à voir et à réfléchir ? Quoiqu’il en soit : qui aime bien, charrie bien… C’est la définition même de l’amitié. S’apprécier malgré tout. Longue vie à Jousselin et Puertolas ! Et vivement leur prochain opus.

 

Guillaume Chérel

 

 

« La Géométrie des possibles », d’Edouard Jousselin, 6008 p, 23, 90 €, Rivages et « Comment j’ai retrouvé Xavier Dupont De Ligonnès », Romain Puértolas 288 p, 19, 90 €, Albin Michel





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