BIOGRAPHIE : À PIED D'OEUVRE

FRANCK CORTÈS


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Voyage au bout de la précarité


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Introduction


« A pied d’œuvre », de Franck Courtès, raconte l’histoire d’un ancien photographe de mode qui abandonne tout pour se consacrer à l’écriture. Il découvre la pauvreté. Je m’attendais à un livre sur la difficulté de vivre de sa plume – les médias l’évoquaient dans ce sens, louant l’humilité de l’artiste en galère, avec une pointe de compassion, mais le voyeurisme qui l’emportait -, et j’ai trouvé un récit sur la déviance du statut de « travailleur indépendant », devenu un « serviteur précarisé ».


On le disait « digne », j’ai vu un artiste (dans l’âme) qui se sent avant tout « humilié ». Dès les premières pages, il explique que les ventes tiennent moins au « talent des auteurs qu’à celui de leurs attachées de presse, moins à la « qualité de œuvre qu’à l’ambition commerciale des éditeurs. » On voit bien qu’il n’est pas du sérail et qu’il pensait que devenir écrivain n’était pas compliqué, à condition de savoir manier la plume. Ce qu’il sait faire, assurément, son livre est bien écrit, mais il travaillait dans un milieu essentiellement basé sur l’apparence, l’image : la photo de luxe. Dans un monde friqué, déconnecté des réalités de la « vraie vie ». De sa « garde-robe », il ne garde que les vêtements de marque, pour donner le change. Il n’y a que ça qui l’inquiète, au début. Mais bon, sa « môman » est propriétaire d’un petit appartement, qu’elle lui prête. Il n’est pas tant que ça dans la panade. Monsieur était habitué à gagner 3000 euros par mois, en moyenne ; il est passé à 250… Il n’a fait que découvrir, sur le tard, la précarité d’un intello précaire.

 

Embrasser la carrière d’écrivain est aléatoire. Comme tout ce qui touche à l’art, en général. Vieux motard javanais… s’il ouvre enfin les yeux sur la vie misérable des petites gens. Des exclus du système (capitaliste), dont le mot d’ordre est marche ou crève. Tant mieux s’il se sent enfin solidaire des sans-papiers et autres séniors en fin de droits. Il a eu son article dans le Monde des Livres - mais pas d’à-valoir (puisque publier chez Gallimuche est un honneur) et son passage à Arte. Son heure de gloire. Mais si ça ne se vend pas, au-delà de dix mille exemplaires, ce sera un coup d’épée dans l’eau.

 

Personne ne va pleurer sur son sort. Ni les collègues auteurs, qui ne trouvent plus d’éditeur (lui est dans la Grande Maison, je le rappelle, on ne peut pas faire mieux pour la réputation, qui lui tient tant à coeur), ni les « vrais » travailleurs (manuels) dont il a découvert l’univers impitoyable. Sa candeur (son nombrilisme, en fait) frise le ridicule, quand il découvre que la viande coûte chère, et que la pauvreté c’est désagréable… Parce que ça le touche. Sinon, il aurait continué à passer devant les SDF, dans la rue, sans les voir, et à se demander pourquoi les Gilets jaunes se sont révoltés.

 

Il y a de jolis passages sur le quotidien de l’écrivain. Mais c’est un peu court. Dès la page 70, il a tout dit, et tire à la ligne jusqu’à la page 182. Un petit roman sur une grande cause perdue. Il est dans l’auto-affliction. Franck Courtés ne remet rien en cause du monde de l’édition, qui fonctionne de la même manière que la « Plateforme » (une start-up exploitant les nouveaux travailleurs pauvres) qu’il dénonce. Quand il se présente, sur la fameuse « Plateforme » (qu’il ne nomme pas), il écrit ceci : Homme à tout faire, polyvalent, ponctuel, soigneux, efficace. Se déplace à Paris et proche couronne. À la fin d’une liste où il énumère ses compétences pour le bricolage, le démontage de meuble ou la fixation d’étagère, on lit : écrivain. « À pied d’œuvre » est un roman engagé sans le savoir. Son corps s’use (il a 54 ans) et il collectionne les tendinites, et a la dos brisé, comme Jack London et Martin Eden.

 

Il se décide à demander le RSA. Ironie du sort, son père est un des créateur du Revenu de Solidarité Active… Son entourage, sa sœur, son ex-femme, lui disent de ne pas se plaindre, sous prétexte qu’il ne connait pas la « vraie pauvreté », bien plus terrible ailleurs. Il se sent « déclassé » en fait. Dans son milieu social, il le confesse, les « smicards », c'était des « pauvres ». Aujourd'hui, la prochaine étape, c'est dormir dans la voiture, puis la rue. 

 

Tout ce qu’il voulait, c'était écrire et finir son livre. Il a découvert la jungle du capitalisme, d’une grande violence, d'un grand cynisme. C’est la vie sauvage au pays de la société de consommation. Plus qu’un livre sur la difficulté de vivre de sa plume – quand on ne fait pas partie de la minorité des best-sellers -, Franck Courtés écrit sur « l’impersonnalisation » des travailleurs pauvres. Sur le nivellement par le bas. Tout est géré par un algorithme, probablement créé par des trentenaires, qui se sont demandé comment exploiter au maximum tous ces nouveaux galériens. Ils vendent l'accès au travail. L’accès à la précarité. Le salarié n'a personne contre qui se retourner. Il est isolé, non syndiqué. Ce ne sont que des prénoms interchangeables. Personne ne se connaît. Le système d’évaluation à étoiles a remplacé la pointeuse, comme dans un épisode fameux de la série dystopique Black Mirror. Et le pire c’est que les « clients » de ces nouvelles boîtes d’intérim sont complices, sans le savoir eux aussi. Ils deviennent l'équivalent d'un mix entre le contremaître d'antan, vérificateur des travaux finis, et de la pointeuse. 

 

Franck Courtès découvre aussi que la majorité de ces travaux ont lieu chez des femmes. Comme si les maris, les frères, les cousins et les papas avaient disparu de leur monde. Il découvre leur intimité, à défaut de plus si affinités… Mais il ne personnifie que le service qu’il est censé effectuer, tant bien que mal. Quand il dit qu’il est écrivain, on a du mal à le croire. Moi, je le crois. La preuve, il est solitaire.

 

Guillaume Chérel

 

« À pied d’œuvre », de Franck Cortés, 183 p, 

18, 50 €, Gallimard.






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