ROMAN : SOLEIL AMER

Lilia Hassaine


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La guerre d'Algérie n'est pas terminée


Couverture Soleil amer #Société #Algérie #Déracinement #France #Empathie #Familles #Générations #Racisme #Injustice #Cités #Ghettoïsation #Drogue #Sexisme #Femmes #Parcours #Style Lilia Hassaine



Introduction


Il y a moins de deux ans, Lilia Hassaine (29 ans) faisait une entrée remarquée en littérature (dans la « Grande Maison », Gallimard, qui plus est), avec un roman mêlant légende et réalité, pour décrire la fatuité, et la condescendance, d’une certaine frange de bourgeoisie parisienne (cultivée mais élitiste, cynique, blasée et autocentrée). Elle y montrait des qualités d’écriture certaines, qui ne demandaient qu’à être confirmées. Pour son deuxième roman, "Soleil amer", elle est passée de l’autre côté du périph’ et s’attaque à un sujet plus dense, sociologiquement : l’immigration (algérienne ici), depuis la fin des années 50, en suivant une famille (parents et fratrie) jusqu’aux années 90.


Au début du récit, nous sommes dans la région des Aurès (Wilaya de Sétif). Naja élève seule ses trois filles depuis que son mari, Saïd, a été recruté pour travailler en France, comme des milliers des jeunes hommes vigoureux et plein d’espoir. Lui, comme sa femme, pense revenir riche. Devenu ouvrier spécialisé, quelques années plus tard, il parvient à faire venir sa famille en région parisienne. Première désillusion, le pays de Cocagne, imaginé, n’est pas à la hauteur des espérances. Loin de là. Ils ont l’eau courante et l’électricité mais l’appartement, dans une HLM de banlieue (époque utopie du « vivre-ensemble »), est petit et surtout loin de tout. Naja tombe enceinte. Saïd, son mari, lui explique que leurs conditions de vie ne permettent pas au couple d’envisager de garder un enfant de plus… Sauf que ce n’est pas un mais deux enfants qui vont naître : des « faux » jumeaux. Et ça tombe bien, parce que la femme de Kader (le frère de Saïd), une « française » prénommée Eve, ne peut pas avoir d’enfant (dit-elle). Le couple va adopter le plus costaud des deux frères, qu’ils vont appeler Daniel. Le second, frêle et fragile, est nommé Amir.

 

Le début du roman est prenant, touchant. On est avec cette jeune femme, arrachée à son pays. La plume de Lilia Hassaine est tour à tour sensuelle, poétique, voire drôle. Elle décrit merveilleusement l’amitié féminine, les gynécées, où l’on s’ouvre enfin et parle de tout, ou presque, et les relations familiales souvent compliquées (les enfants préférés, la violence masculine, la sexualité tabou dans la culture musulmane…). Il y a des perles : « (…) l’amour, c’est pour les français », dit Naja à une institutrice qui lui enseigne le français. Du coup, elle adapte les tournures de phrase à sa sauce : « Vous sortez en table de nuit ? » (au lieu de « boîte de nuit »).

 

Puis, l’autrice lâche peu à peu ce personnage féminin, pour évoquer son mari, Saïd, tombé dans l’alcoolisme à cause de la charge de travail et la nostalgie du pays, mais également son frère, Kader, qui a la chance de se cultiver, notamment grâce à Eve, féru de littérature. 

 

Elle se lance ensuite dans la description d’une galerie de personnages, comme dans un roman russe, mais on peut s’y perdre un peu, avec les prénoms qui se succèdent (Maryam, Nour, Sonia, Nora, Sheila, qui s’appelle en réalité Sylvie…) si l’on n’est pas attentif. N’est pas Dostoïevski, ou Tolstoï qui veut (surtout ils prenaient des années pour écrire leurs œuvres). Mais ça passe. Lilia Hassaine est ambitieuse. Il lui manque juste le temps… De fignoler, développer, d’étoffer son intrigue, sur la fin… et de vérifier ses infos (elle est journaliste). Ainsi, il n’est pas exacte d’affirmer qu’aucun média français n’a relaté le massacres des manifestants algériens, la nuit du 17 octobre 1961, à Paris (ils manifestaient pacifiquement, lors d’un défilé organisé par le FLN, cinq mois avant la fin de la guerre d’indépendance). 

 

Les quotidiens L’Humanité et Libération ont publiés des articles sur cette ignominie. Par contre, elle a raison de rappeler cette époque de honte nationale (où on traitait les « arabes » de « sales bicots », de « bougnoules », de « melons », alors que l’Etat les exploitait, voire les tuait, après les avoir torturés, pendant les « évènements » ; sans parler de leur héroïsme pendant les guerres mondiales…). Puis, ça a continué, dans les années 80. On les a surnommés « beurs » (et beurettes »). Bref, le sujet a trop longtemps été occulté de la mémoire collective, et c’est tout à son honneur de s’y attaquer, après Faïza Guène (« Fiffe kiffe demain », 2004), ou encore Magyd Cherfi (« Ma part de gaulois », 2016), plus récemment (votre serviteur a publié sur la question « Les enfants rouges », Flammarion 2001).  

 

Cette omission est d’autant plus étonnante que cette excellente chroniqueuse, au Quotidien (animé par Yann Barthès, sur TMC), est d’une précision surprenante, lorsqu’elle décrit les années 60-70-80 (elle qui est née en 1991). Tout y est : les émissions de télé, comme Bonne Nuit les Petits, Thierry La fronde, Fifi brin-d’acier, Kiri le clown, les friandises de l’époque, la mode vestimentaire (mini-jupes des « clodettes ») ; comme si elle était de cette génération. Dernier remarque, Mai 68 se voulait bien plus qu’une révolution « sexuelle », comme elle l’écrit. Elle le sait pertinemment d’ailleurs, puisqu’elle évoque les avancées sociales, remportées par la lutte syndicale, durant ces années.

 

Hormis ces légers bémols (qui aime bien charrie bien), répétons-le, ce deuxième roman de Lilia Hassaine a le mérité d’aborde la question de l’exclusion (et non de la prétendue « intégration », comme son éditeur l’écrit en 4e de couv’) des populations d’origine algérienne dans la société française, post-gaulliste, entre le début des années soixante et la fin des années quatre-vingt. Des algériens, de la première génération, dont la dernière alternative se résumait à ce dilemme : « Le problème n’est pas de savoir où on veut vivre, mais où on voudrait mourir. »

 

La seconde et la troisième n’ont même plus ce choix : ils vivent, et son nés, dans un pays où on leur fait trop souvent comprendre qu’il n’est pas vraiment le leur. Ils ne sont plus chez eux au « bled » non plus… cela donne ce que pouvait imaginer. Avec audace, et à-propos, elle ose aborder les questions qui fâchent : les poses antiracistes d’une certaine frange de la gauche « caviar », sans les nommer (on pense à SOS Racisme, Touche pas  mon pote…), sans s’attaquer aux injustices sociales (aujourd’hui, on les appelle « bobos ») ; la ghettoïsation lentes des quartiers censés favoriser le « Vivre-Ensemble » ; les ravages de la drogue (héroïne) dans les cités (années 70) ; le machisme et le sexisme, que ce soit au sein des familles maghrébines, et/ou françaises dits « de souche ». Lilia Hassaine va jusqu’à user d’une métaphore, on peut plus claire, brute de décoffrage. 

 

Le fragile Amir, croyant avoir trouvé un bon boulot, honorable et utile à la société (dans une boulangerie), se fait brutalement agresser sexuellement par son patron (du moins, elle le suggère pudiquement, comme elle distille l’idée qu’il est sans doute homosexuel : l’archoumah ultime, la honte) : le français Gilbert le sodomise. En évoquant la gémellité contrariée des frères, elle dresse un parallèle avec la sororité mal vécue de l’Algérie et la France « (…) des sœurs empêchées. Elles n’ont pas réussi à vivre ensemble, mais n’ont jamais su vivre l’une sans l’autre. » 

 

En bonne journaliste, ouverte sur le monde qui l’entoure, Lilia Hassaine n’a pas choisi d’écrire sur son nombril de « star-télé ». Cette jeune diplômée d’études littéraires supérieures semble déjà avoir la sagesse d’une femme qui aurait tout vécu, tout « comprendu »… En empathie, elle porte en elle la tristesse, mais aussi l’humour (du désespoir) de générations de femmes bafouées, mâle-traitées, mal-aimées, déconsidérées. Elle en a fait des héroïnes de roman. Pas étonnant qu’elle dédie ce roman à sa mère. Cette dernière peut être fière. Sa fille est non seulement belle comme une actrice Italienne, mais elle joue pleinement son rôle d’écrivaine en offrant sa plume, en guise de porte-voix, à celles et ceux qui n’ont pas la parole.

 

Lilia Hassaine possède un style, une voix déjà reconnaissable. On sent que la littérature est sa vraie passion : « L’écrivain, c’est celui qui fait de sa vie le réceptacle des secrets, des sentiments profonds, écrit-elle (…) seule la face cachée de la lune l’intéresse. ». Il manque 150 pages, donc le double de temps (pour développer les années 80, notamment, à peine survolées) à son roman, afin qu’il soit vraiment abouti. Un jour, il va lui falloir choisir entre l’écriture, la littérature, et la télé. L’ombre ou la lumière. Vaste dilemme (cornélien) : le devoir d’un côté, l’amour de l’autre. La passion ou raison ? C’est vieux comme le monde de l’imprimerie. C’est risqué. Comme l’amour, et la vie, en général… A bonne « entendeuse », petit scarabée.

 

Guillaume Chérel

 

Soleil amer, de Lilia Hassaine, 

157 p, 16, 90 €, Gallimard







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