ROMAN : NOS COEURS DISPARUS

Celeste Ng


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L’empileuse de mots, ou quand les bibliothèques deviennent îlots de résistance


Nos cœurs disparus #Style #Anticipation #Dystopie #Polar #Totalitarisme #Crise #Racisme #Asie #Famille #Enfant #Secret #Disparition #Périple #HéritageCulurel #Transmission #Humanité Celeste Ng



Introduction


Tout le monde est au chômage, ou presque. Les usines sont à l’arrêt, il y a des pénuries dans tous les secteurs, des « émeutiers » pillent les magasins et mettent les quartiers à feu et à sang. Le pays tout entier est paralysé par les « troubles ». On les nomment « perturbateurs » : ça se passe aux Etats-Unis, mais ça pourrait chez nous.


La « Crise » a bon dos. Le bouc émissaire idéal est trouvé, c’est la Chine. Voilà dans quelle ambiance grandit le petit Bird Gardner (12 ans), enfant unique d’un jeune couple d’intellectuels d’origine asiatique, qui ne va pas tarder à s’envoler pour retrouver sa mère, sino-américaine, dont un poème, « Nos cœurs disparus », a servi d’étendard aux rares citoyens qui ont le courage de se rebeller contre le totalitarisme sécuritaire et conservateur : RENDEZ-NOUS NOS CŒURS DISPARUS, est-il écrit, la nuit, un peu sur les murs. Messages effacés de jour par les autorités. Il y a des drapeaux à la bannière étoilée, une peu partout, et des slogans patriotiques : « ICI ON AIME L’AMERIQUE FIERS D’ETRE AMERICAIN VEILLONS LES UNS SUR LES AUTRES.


Totalitarisme

 

Margaret Miu a écrit ce texte, parmi d’autres, sans imaginer un instant l’impact qu’il aurait sur sa vie, celle de son fils, de son mari (ancien linguiste devenu bibliothécaire de base, à Harvard), mais aussi de millions d’américains, qu’ils soient blonds aux yeux bleus, ou pas. Sous prétexte de protectionnisme, et de sécurité nationale, leur vie est aujourd’hui régie par des lois écrites pour préserver la « culture américaine » (le PACT), après des années d'instabilité économique et de violence. Pour maintenir la paix et rétablir la prospérité, les autorités sont désormais autorisées à déplacer les enfants de dissidents, en particulier ceux d'origine asiatique, et les bibliothèques ont été contraintes de retirer des livres considérés comme antipatriotiques – y compris l'œuvre de la mère de Bird, Margaret, qui a quitté la famille – on ne sait pas pourquoi au début – quand il avait neuf ans.

 


Romans dystopiques

Bird sait qu'il ne devrait pas poser question (son père ne cesse de lui répéter de faire profil bas) mais lorsqu'il reçoit une lettre mystérieuse ne contenant qu'un dessin énigmatique, peu après la disparition de la petite Sadie, une camarade de classe rebelle, il part à New-York, sans prévenir son papa, pour retrouver sa génitrice. Son périple va s’apparenter aux contes qu’elle lui racontait avant de s’endormir le soir. Il y a aura même une mystérieuse duchesse et une grande demeure plantée au milieu de la nature, paisible. En attendant le PACT continue de veiller contre tentative d’atteinte à l’ordre public. Car les anti-américains sont partout : ils sont reconnaissables aux yeux bridés. Il est donc nécessaire de surveiller ses voisins, comme dans le nouveau roman de Lilia Hassaine, « Panorama » (Gallimard, voir article précédent).


Témoignages enfants Réunion Creuse

Our Missing Hearts, le titre original, est une histoire triste, inspirée de faits réels (la confiscation des enfants pour les « rééduquer »), depuis la « conquête » de l’Amérique, et dans de nombreux autres pays, comme l’Australie, avec les aborigènes, les canadiens avec les autochtones, et en France, dans les années 70, lorsque des petits réunionnais ont été envoyés « repeupler » la Creuse (les russes ont récemment kidnappé des enfants ukrainiens pour les façonner, et des enfants de latinos refoulés aux frontières sont menacés d’être retirés à leurs familles de migrants, pour leur « bien »). C'est l’éternelle histoire de la lutte pour le pouvoir politique – et ses limites – et de la résistance des artistes contre la dictature.

 

Il y a peu, ces récits relevaient de l’improbable, de scénarios du pire, ou de romans d’émancipation (on ne parlait pas encore de dystopie), genre lancé par Orwell et Koestler, entre autres. Il sont désormais si proches de notre quotidien que cette « SF » est devenue notre triste réalité. Nous (sur)vivons dans un chaos mais ici et là, malgré tout, fleurissent, sur les ruines du capitalisme, des ZAD d’utopies concrètes, à la marge pour le moment. Or, pour conter l’irresponsabilité des politiques soumis aux milliardaires, il y a urgence à revendiquer des lieux où se déploient (déjà) nos imaginaires « collectivistes en autogestion ? », en totale liberté. C’est la thèse de l’essai d’Alice Carabédian (« Utopie Radicale : par-delà l’imaginaire des cabanes et des ruines », Seuil, 2022). Pardon, je m’égare…


Bibliographie Celeste Ng

Celeste Ng (43 ans), s’était distinguée, dès son premier livre, « Tout ce qu’on ne s’est jamais dit » (2014). Ici, elle nous offre une dystopie réaliste, entre Hunger Games (avec le geai moqueur comme symbole emblématique) et « La Servante Ecarlate » (The Handmaids’s Tale) de Margaret Atwood, dont l’autrice confesse s’être inspirée (son héroïne porte le même prénom). Il y a parfois des longueurs et quelques invraisemblances (les retrouvailles entre la mère et son fils sont étonnamment glaciales, après autant de temps, et il est peu probable qu’elle lui raconte, pour ainsi dire, sa vie sexuelle, et les détails de sa folle jeunesse à New-York), mais l’ensemble est haletant, car angoissant. Déprimant, car tellement réaliste, historiquement avéré et proche de ce qui existe déjà dans certains Etats américains et en Chine. Ça nous pend au nez. Ils ont le blond Trump aux Etats-Unis, qui menacent de revenir. Nous avons la blonde Marine et sa clique d’identitaire aux portes du pouvoir. Ici aussi la guerre civile menace, « pour de vrai ».

 


Racisme anti asiatique

Celeste Ng a écrit un roman dense et riche en thématiques, d’une grande sensibilité. « Nos cœurs disparus » est un roman ambitieux littérairement, à la fois violent, sombre, doux, dur et tendre, voire poétique. Ultrasensible. A fleur de peau. Ça sent le vécu (le racisme anti-asiatique est plus larvé). Elle met le doigt sur l’importance de l'héritage culturel (et politique) que nous transmettons à nos enfants, et comment chacun de nous peut survivre dans un monde chaotique, avec le cœur intact. La conscience sinon tranquille, du moins en accord avec des valeurs de bienveillance et d’empathie. Bref, nourri de justice sociale et raciale. De nombreux livres, d’auteurs vivants ou morts, véhiculent ces valeurs de partage et d’équité, sur les étagères de bibliothèques du monde entier. Ils sont comme des cœurs disparus, disséminés, partis germer ailleurs.

 

Guillaume Chérel

 

 

« Nos cœurs disparus », de Celeste Ng

traduit de l’anglais (US) par Julie Sibony, 372 p, 23,50 €, Sonatine Editions.


Interview en anglais non sous-titrée Celeste Ng





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