HOMMAGE : JIM HARRISON

Guillaume Chérel


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#Polar #Rencontre #Auteur #Américain #Culte #Témoignage 


Jim Harrison s'est transformé en ours il y a 5 ans. Ou, le grizzly des lettres américaines.


Jim Harrisson
Festival Etonnants Voyageurs
© sous réserve de droits




Introduction


La scène se passe en gare de Rennes. Nous sommes en 1999 et je suis encore un jeune journaliste, qui vient de publier ses trois premiers livres (deux polars et un récit de voyage sur les pas d’Hemingway à Cuba). Je viens de descendre du TGV, en provenance de Paris, pour aller au premier Festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo, lorsque je tombe nez à nez avec le grand, le gros… l’immense, devrais-je écrire, Jim Harrison, accompagné de sa femme, tous deux encombrés de bagages. Il porte une veste légère, couleur crème, et marche avec difficulté malgré sa canne. Je le salue et lui demande s’il va bien. Il me répond qu’il attend qu’on vienne les chercher  pour les emmener jusqu’à la ville corsaire en voiture, mais qu’il ne voit personne de l’organisation. Je lui propose de prendre le même tortillard que moi et de l’aider à porter ses bagages jusqu’à un autre quai. Il accepte avec joie et me traite comme son fils tout au long du trajet entre les deux trains.


Coup de sifflet du chef de gare. En voiture Simone ! Le Festival de Saint Malo a commencé… et me voilà en compagnie, durant près de deux heures, de l’un de mes écrivains préférés, vivants, découvert grâce à ma défunte mère, Lolita Godinez, grâce à qui j’ai découvert Jim Harrison, en collection de poche publiée par Christian Bourgois (Sorcier et Un bon jour pour mourir). Elle avait la « main blanche », ma mère, comme on dit avoir la main verte… elle savait reconnaître les bons livres et les grands auteurs rien qu’en feuilletant les premières pages. 

 

Je me souvenais de ma première rencontre avec Harrison, dans une librairie de Paris. Quand il a entendu mon prénom, Guillaume, pour la dédicace, il m’a parlé d’Apollinaire, et à l’évocation de Lolita, il m’avait parlé de Nabokov…

 

Le train est bondé, surtout plein de lycéens qui retournent chez eux à l’heure du déjeuner, mais aussi d’une ribambelle d’auteurs, éditeurs et autres confrères. L’ambiance conviviale de la voiture où nous sommes installés, avec ma compagne de l’époque, Angela, semble beaucoup plaire à « Big Jim ». En effet, un chien-loup est couché dans la travée centrale et on a le droit de fumer, à cette époque. Les jeunes chahutent entre eux. Des rires résonnent en cascade. Personne pour l’emmerder. Du coup, il est disponible, souriant. Ses grosses paluches appuyées sur le pommeau de sa canne, il m’invite à m’asseoir à ses côtés. J’en profite pour lui faire part de mon projet d’écrire un récit de voyages sur les pas de Jack London en Californie. 

 

Pendu à ses lèvres rabelaisiennes, surmontées d’une paire de moustache poivre et sel, je l’entends grommeler : « A la fin de sa vie, il adorait bouffer du canard saignant ! »… un peu déçu qu’il n’en dise davantage, je le relance sur l’importance d’un tel écrivain. Je scrute son œil valide, plein d’espoir, et le bon Jim redresse son cou de taureau en disant : « Si tu vas à Dawson, cet été, attention aux moustiques ! L’Alaska en est truffé ». Le mieux était d’aller me rendre compte par moi-même. Ce que j’ai fait quelques semaines après (cf : Jack London : le mangeur de vent, Flammarion 2000).

 

Au retour sur Paris, après avoir fait moult rencontres passionnantes (Colum Mc Cann, Le Bris, Le Clézio, Patrick Raynal, Bjorn Larson, Bernard Giraudeau, Eric Poindron, etc..) et bu force bière, vin et champagne, toujours dans le TGV, éreinté, mais heureux, je me suis approché de « Big Jim », en pleine discussion avec son ami Russel Banks. Je lui ai demandé timidement s’il serait d’accord pour une interview. Il a une nouvelle fois grommelé dans sa moustache, comme James Crumley (un autre de ses amis, que j’ai également eu la chance d’interviewer plusieurs fois) qu’il était fatigué.

 

Je n’ai pas insisté. Tant pis pour « Regards », le mensuel pour lequel je travaillais alors : j’avais qu’à me réveiller plus tôt… je suis allé me rasseoir à ma place, et me suis assoupi. Au bout d’une vingtaine de minutes, un grognement d’ours m’a réveillé. 

 


Couverture La femme aux Lucioles
© 10/18
Couverture En Marge
© 10/18


C’était Jim avec une bouteille de vin. J’ai compris, ce jour-là, combien cet homme-ours, ce grizzly des lettres était humain, chaleureux, bienveillant. Il avait vu dans mes yeux que j’étais déçu et s’était peut-être souvenu que je l’avais aidé à son arrivée à Rennes. Une heure après, il taillait une bavette avec Angela, qui deviendra la mère de ma fille, Louna. Un an après, il m’a reconnu, lors des séances de dédicace, et me demandait des nouvelles de ma mère, Lolita, et d’Angela, dont il se souvenait du prénom…

 

Plusieurs années après, je l’ai revu à St-Malo, Saumur, Toulouse et Paris, je crois. Il était de plus en plus gros et fatigué mais il se souvenait bien de moi. Je lui ai offert un couteau Laguiole, au Marathon des mots de Toulouse, en 2002, et animé un débat à St-Malo, dans un théâtre (de la mer ?) bourré à craquer. J’étais tétanisé. Son ami Gérard Oberlé m’a sauvé la mise, en accaparant la parole, avec des anecdotes toutes plus drôles les unes que les autres, devant le shérif Robert Sims Reid médusé par un tel flot de paroles en français. 

 

Harrison lui buvait du petit lait. On lui fichait la paix, ça lui allait bien comme ça. Voilà. Quand il est mort, il y a cinq ans, déjà, j’ai eu l’impression de perdre un grand oncle américain. Aussi, quand j’ai appris que les éditions 10/18 rééditaient La Femme aux Lucioles, et ses mémoires (En Marge), j’ai eu envie de partager mes souvenirs avec Big Jim Harrison, le grizzly des lettres américaines. Que je ne vais cesser de lire et relire jusqu’à la fin de mes jours, dans une cabane en bois, au fond des bois. Grrrrrr !!

 

Guillaume Chérel

 

En Marge, préface de François Busnel, et La femme aux Lucioles, 

de Jim Harrison, 10/18 éditions.


1999. Jim Harrisson / Guillaume Chérel
1999. Jim Harrison / Guillaume Chérel


Bio du coco

 

Jim Harrison est un poète, romancier et nouvelliste américain, né le 11 décembre 1937, à Grayling (Michigan). Il est mort le 26 mars 2016, à Patagonia (Arizona).


À l'âge de huit ans, une gamine lui crève accidentellement l'œil gauche avec un tesson de bouteille, au cours d'un « jeu ». A l'âge de 16 ans, il décide de devenir écrivain et quitte le Michigan pour vivre la grande aventure à Boston et à New York.C'est aussi à 16 ans qu'il rencontre Linda, de deux ans sa cadette, qui deviendra sa femme en 1960. Ils ont eu deux filles, Jamie, auteur de roman policier, et Anna.

 

Il rencontre Tomas McGuane à la Michigan State University, en 1960, qui va devenir l'un de ses meilleurs amis. Sa vie de poète errant vole en éclats le jour où son père et sa sœur trouvent la mort dans un accident de la route causé par un ivrogne, en 1962.


Titulaire d'une licence de lettres, il est engagé, en 1965, comme assistant en littérature à l'Université d'État de New York, à Stony Brook, mais renonce rapidement à une carrière universitaire. Pour élever ses filles, il enchaîne les petits boulots dans le bâtiment, tout en collaborant à plusieurs journaux, dont Sports Illustrated. Son premier livre, Plain Song, un recueil de poèmes, est publié en 1965.


En 1967, la famille retourne dans le Michigan pour s'installer dans une ferme sur le rives du Lake Leelanau. Immobilisé pendant un mois, à la suite d’une chute en montagne, il se lance dans le roman Wolf (1971). McGuane lui présente l’acteur Jack Nicholson sur le tournage de Missouri Breaks. Harrison, qui n'a pas payé d'impôts depuis des années, est au bord du gouffre financier. Nicholson lui donne de quoi rembourser ses dettes et travailler un an. 

 

Il écrit alors Légendes d'automne (« Legends of the Fall », 1979), une novella publiée dans Esquire et remarquée par le boss de la Warner Bros, qui lui propose une grosse somme pour tout écrit qu'il voudra bien lui donner. 

 

Le succès n'étant pas une habitude chez les Harrison, Jim se noie dans l'alcool, la cocaïne. Après une décennie infernale (1987-1997) durant laquelle il a écrit un grand roman, Dalva (1988), il choisit de s'isoler et de se consacrer pleinement à l'écriture et aux balades dans la nature. 

 

Jim Harrison meurt d'une crise cardiaque, à l'âge de 78 ans, en écrivant un poème, après un bon déjeuner bien arrosé. François Busnel, qui préface En Marge et La femme aux Lucioles a réalisé un documentaire sur l'écrivain, destiné au grand écran.






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