EAU DE VIE


 

 

Eau

de vie




J’aime les villes d’eau. On y boit du bon vin.


 

C’est à ça que je pensais en descendant du car.

Trouvé ma location. Moche, ma location...

 

'posé ma valise.


Cherché mes papiers : carte vitale, attestation sécu... ordonnances, réservation de cure, accord sécurité sociale avec prescription « orientations thérapeutiques »

 

Euh... qu’est-ce que j’ai oublié...

ah oui, la feuille pour le médecin....

 

Dans la salle d’attente une mère et son enfant de 12 ans. Allongé sur une poussette pour adulte, le corps raide, les mains tordues, il me suit des yeux.

 

Je suis en avance, comme d’habitude... pourquoi je suis toujours en avance. La mère raconte les progrès qu’il fait ... arrive presque à s’asseoir... viennent deux fois par an... c’est votre première fois ? Oui, oui... vous verrez, efficace...

 

Envie de fuir.

 

Je pense à mes enfants et petits enfants qui vont bien....

J’ai sursauté à l’appel de mon nom.

 

Le médecin pose les questions habituelles.

'me fait lever, marcher, bouger les mains, m’ausculte, me pèse.

 

- « Détecté il y a combien de temps ?"

- « 6 ans»
- « C’est votre première cure ? »
- « Oui...»

 

Il explique :

 

« Ici vous verrez toutes les pathologies neurologiques... sclérose en plaque, polynévrites, paresthésies, les AVC, Elsheimer, fibromyal.......... »

 

J’ai décroché. Fermé les écoutilles.

Le son est revenu doucement.

 

« ... la rééducation. Reposez vous après les soins. C’est important. On ne fini pas sa vie forcément en fauteuil ... votre parkinson évolue lentement. Faites vous des amis... faut pas rester seule, c’est mauvais pour le moral... et ne soyez pas impressionnée par ce que vous verrez ».

 

Je ne suis pas impressionnée, je suis morte de trouille !

Retour à mon studio en regardant le sol.


Mais je les vois quand même, les fauteuils.


Et 'suis horrifiée par la jeunesse de ses occupants.

J’ai fait mon lit. Vidé ma valise.


Essayé de dormir.


Les courses. J’ai fait les courses.
Ai bu un café, repéré les commerçants.
Vu le Syndicat d’Initiative. Essayé de lire.

 

Ce village est occupé 12 mois sur 12 par des gens qui marchent au ralenti, bougent au ralenti. Même les voitures, dans la rue principale, respectent cette lenteur. Sans klaxonner où râler.

 

Les ambulances vont et viennent, sans bruit.


Il y a un Hôpital Militaire et un nombre incalculable de cliniques de rééducations où l’on réapprend les gestes de la vie, où certains finiront la leur.

 

J’irai voir le Parc demain.

 

Je m’assieds à l’arrêt du bus d’où j’ai débarqué il y a quelques heures.

J’entends des parents qui échangent des nouvelles de leurs enfants.


De l’amputation que l’un doit subir. Du coma dont un autre est sorti. Une mère raconte les larmes de sa fille, seule émotion qu’elle puisse exprimer.

 

Et l’infirmière qui lui dit : « y’a que quand vous êtes là qu’elle pleure... ».

Un verre, je veux un verre. Tout de suite. Deux verres même et plus si affinité.

 

Suis en Languedoc-Roussillon quand même....

 

Premier jour

 

6h30

Petit déjeuner rapide. Mon voisin de chambre ronfle. Fermer doucement la porte pour ne pas réveiller l’autre voisine. Monter la côte avec les nouveaux Pèlerins....Au bout du chemin LA CURE.

 

7h30

Nous, nouveaux arrivants, sommes sagement assis. Pas un mot. Pas un regard échangé. J’allais sortir mon livre quand on m’ a appelée.

 

J’avais demandé à commencer à 10 heures...vais pas me lever tous les jours à 6h30 ! Je déteste me lever tôt. Pas eu le temps de râler. Il n’y a que le premier et le dernier jour à cette heure là... Ouf !

 

Planning provisoire en mains, direction les vestiaires. A l’entrée une cinquantaine de cannes plantées dans des sortes de râteliers.

 

Je ricane : les skis des vieux...

 

Remise du sac transparent au logo de la Cure avec consigne de « ne se servir que de ce sac pour venir aus soins ».

 

Cause toujours, m’en servirai pas.

Je veux pas qu’on sache que je suis en cure.

 

« Vous avez un bonnet de bains ? c’est obligatoire...des sandales ? le maillot aussi ? Bien Suivez moi.... là, le vestiaire où vous prenez votre panier 10 minutes avant votre heure d’entrée en soins. Les cabines sont là. Vous mettez le n° du panier à votre poignet. Pour le peignoir »...

 

Elle me jauge :

 

« Grande taille. Vous pouvez changer de peignoir 1 fois et la serviette 2 fois. Compris ? ». J’acquiesce.

 

L’impression d’être en maternelle.

Et baguée comme un poulet N° 22

 

JE NE SUIS PAS UN NUMERO !

 

J’ai cherché une cabine vide, mis maillot, sandales, charlotte. Accroché mes vêtements, cachant le plus possible mes sous-vêtements. Mis la serviette, mes mouchoirs, mon bouquin dans le grand sac logo, tassé mes chaussures et mon sac sur panier-vestiaire. Rapporté le tout et suivi une jolie jeune femme toute souriante pour le premier soin.

 

Tous en rose. Les messieurs aussi. Avec charlotte où bonnet. Je me croise dans une glace : je suis moche, vraiment moche ! Les autres aussi.

 

Femmes aux ventres déformés, seins bas, jambes maigres, bras mous. Hommes aux bides débordants, aux slips pendouillant.

 

Bourrelets partout. Mains s’agrippant aux barres, pieds traînants, fauteuils roulants, regards vides, visages figés, gestes saccadés. Corps déformés, blessés, mutilés. Amputés.

 

Je ne veux pas parler. Je ne veux pas qu’on me parle. Je ne veux pas voir. Je ne veux pas être là. Je ne suis pas là.

 

Je vais planquer le sac du Centre dans un autre.

Je ne veux pas qu’on sache. Je ne veux pas.

 

Après deux heures de trempage, gym, trombes, jets, suis tellement crevée qu’on pourrait me faire porter un chapeau avec grelots sans que j’y trouve à redire... alors je vais faire comme tout le monde : sac avec Logo en bandoulière.

 

J’ai acheté un Clos de l’Orb (Roquebrun).
Je crois bien que je vais siffler la bouteille entière.

 

 

Deuxième jour

 

C’est blanc, nacré, lisse, épais et liquide en même temps : « bain de boue en apesanteur». Ne pas se précipiter, s’accrocher aux barres. Rester assis. Apprivoiser la matière.

 

Un léger « schloufff » puis un remous attira mon regard. Une forme se débattait, essayant d’attraper ce qui lui passait à portée de main. Un maillot. Occupé par un monsieur qui s’accroche à la rampe et manque lui aussi de disparaître dans cette bouillie blanche et tiède.

 

J’ai dit, un chopant un pied : « Plus bouger ! »

 

J’ai attrapé l’autre pied et l’ai poussée à la place libre la plus proche. Impossible de l'asseoir.

 

- « Accrochez vous, j’ai dit en lui mettant les mains sur les barres d’appui Vous ne pouvez pas couler ».

 

'ai demandé à ses voisins de lui tenir les bras pendant que je poussais ses pieds, afin que sa tête touche le mur.

 

« Tirez sur vos bras et ramenez les genoux vers vous... »

 

Face à elle, j’ai appuyé sur ses genoux .

'a presque fait culbuto.

 

J’ai eu juste le temps d’agripper les barres

J’ai poussé plus doucement.

 

« Vous sentez le mur dans votre dos ? Tenez les barres ...il y a un banc... c’est bon ? pieds au sol ? c’est bon ! plus bouger... »

 

« Je vois rien »


Lui ai retiré ses lunettes, les ai secouées

 

« Peux pas faire mieux... »

 

En lui remettant ses lunettes sur le nez, son regard paniqué me rendit mon humanité : faut que j’arrête de ronchonner. J’ai doucement demandé :

«ça va ?»
« Oui, a-t-elle dit les dents totalement serrées ».

 

Ses mâchoires sont bloquées. Il n’y a que les lèvres qui bougent quand elle parle. Depuis, elle m’attend tous les jours pour entrer dans ce bain.

J’aime pas qu’on me colle.

 

Si j’ai loué un studio, c’est pour qu’on me foute la paix. Je ne suis pas obligée de parler.


Je parle quand je veux.
A qui je veux.

 

Quatrième jour

 

Mal partout, du mal à marcher. Paraît que c’est normal.

Ca m’énerve. Mollement, très mollement.

 

J’ai pris les dépliants des vins de la région.
J’aime bien les dénominations « Vignerons Eleveurs » et « Syndicat du
Cru ».

 

Ca tombe bien : suis syndicaliste. Et les noms comme Villeveyrac, Saint Genies de Fontedit, Pépieux, Villespassans, Babeau-Bouldoux, Berlou, Lamalou-les Bains, Magalas ça roule, ça goulaye.... Ça donne soif quoi ...

Là, je suis sur « Syndicat du Cru Saint Chinian ».

 

Il faut que je choisisse entre « terroir schistes », « terroir mixte » et « terroir argilo-calcaire ». J’y connais rien. Je peux quand même pas tout goûter !

 

A raison de, disons, 4 verres par jour, ça fait environ 1 bouteille tous les deux jours, soit 10 bouteilles en 3 semaines. Tout dépend de la grosseur du verre.

 

J’ai compté 138 noms, 400 vins divers et variés ? Si j’ai bien compris, rien que pour cette seule Maison.

 

En m’attaquant uniquement à ceux-ci, je vais mettre... combien d’années ... à goûter tous les crus, cépages... je sais pas comment on dit... j’arrive pas à calculer. J’aime pas les chiffres. Mais j’aime le vin.

 

J’ai acheté un verre.

Qui tient bien dans la main.

 

Je vais déguster un Roches des Fées cuvée schistes. (Prades/Vernazobres). J’aime bien les fées...


Je sais, c’est pas comme ça qu’on choisit.
Mais j’ai des circonstances atténuantes.

Je suis en cure.

 

 

Sixième jour 

 

J’m’ennuie, je sais pas quoi faire, qu’est-ce que je peux faire ....

Alors j’observe. Et m’aperçois que ça drague sec... pas pendant les soins.

 

Encore que... Il y a les thés dansants, les soirées rétro, le casino... mon bouquin à la main, j’écoute les racontars des bancs publics. Z’ont la forme les vieux.... eau thermale aphrodisiaque ?

 

Faut que j’essaie...

 

Aux « trombes » Monsieur André, les yeux fixés sur son tableau de bord, organise, dirige, distribue les casiers, coche les cartes, accueille les patients en fauteuil, surveille la descente en piscine, puis, le soin terminé, les attend le fauteuil à portée de main, met les peignoirs sur les épaules.

 

A toujours un mot gentil. Téléphone pour qu’on vienne les chercher. Penché sur son clavier il a l’air très absorbé et pourtant :

 

« ... on garde le maillot Monsieur Pouy... »

 

Monsieur Pouy a le maillot à mi genoux. Il le remonte, l’air absent. J’ai vu le derrière de Monsieur Pouy pendant mes 18 jours de cure. Dès qu’il voit une piscine, il se met à poil.

 

Chaque fois on entend une voix douce, avec l’accent du midi :

 

« ... le maillot, Monsieur Pouy, on garde le maillot... »

 

C’est aussi :

 

« ... cabine 8, Monsieur Raynal, pas 18 ... »

« ... hein ? »
« ... 8 pas 18 »

 

Monsieur Raynal a l’air perdu.

 

« ... ça fait rien, restez au 8. ...Madame Vargas, vous pouvez passer au 18 ? »

«... oui, oui...»

 

Elle change son peignoir de place et replonge dans son bouquin.

« Prends ça dans ta gueule ! » ça s’appelle.

 

Je penche la tête pour voir le nom de l’auteur.

Bizarre comme titre. Faut vraiment que je me penche.

 

Chérel. Guillaume Chérel, dit-elle en souriant.

C’est un livre en colère... ça défoule ...

 

 

Je me sens très bête. Je sors mon bouquin .

 

« Un dernier verre avant la guerre» de Dennis Lehane.

Elle lit au dos du livre et termine tout haut :

 

« ...désespoir terriblement drôle et l’humour ravageur prêt à fleurir sur la moindre cicatrice »

 

On a bien choisi nos livres dit-elle en riant...

On échange dans...

 

« Dans deux jours ? »

« Ok, même heure... »

 

Monsieur André annonce :

 

«les10h.10...»

 

C’est quoi mon numéro de casier déjà ? Le 12...

Faut dire que même avec toute ma tête, je me trompe parfois.

 

« ... c’est exprès votre maillot à l’envers ? »

demande Magali.

 

« ... non, non... »

Je suis confuse. Elle rigole.


« ... ça fatigue la cure hein .... »

Je lui dis pas qu’hier soir, j’ai bu la moitié d’une bouteille où il y avait marqué au dos « chaud, bouqueté, gouleyant, légèrement corsé, se boit jeune mais peut vieillir ».

 

Il s’appelle "Domaine du Rouge Gorge A.O.C Faugères".

Je l’ai pas laissé vieillir, c’est tout.

 

Dixième jour

 

Tour des parcs et jardins. Il fait très chaud.

J’ai du plomb dans les espadrilles. Mais je m’oblige.

 

Haltes régulières sur les bancs. Le curiste sort.

S’assied, repart. Salue des connaissances.

 

Se rassied. Repart. On tourne en rond...

 

Il y a bien le casino avec ses machines à sous, mais vraiment ça ne me dit rien. Mon voisin de chambrée, un ancien légionnaire, le fréquente assidûment et rentre régulièrement bourré.

 

Il a bien fait quelques tentatives d’approche, poussant de profonds soupirs en me voyant passer, se trouvant systématiquement sur ma route lorsque je pars au Centre.

 

Je suis polie, mais distante.

Un vrai prix de Vertu Effarouchée.

 

Une amie de ma mère m’a pourtant conseillé de choisir un légionnaire comme partenaire : ils savent cuisiner, repasser, bricoler.

 

Mais bon, j’suis pas là pour rigoler. Et puis je suis anti-militariste. Enfin c’est pas si simple... je suis une pacifiste qui aurait sûrement pris les armes pendant la guerre 39/45...

 

Enfin bref.... la plupart des curistes « mâles » sont d’anciens militaires. J’avais bien vu qu’il y avait noté « cure militaire » mais je ne pensais pas qu’il y en avait autant. Et je me dis que certains, vu leur âge, ont fait l’Indochine, l’Algérie.

 

Ca me rappelle un amour de vacances, en 1961. Un beau jeune homme, une chaîne en or autour du cou avec quelques breloques. En passant mes doigts sur sa poitrine j’avais pris et examiné ces objets en demandant amoureusement :

 

- «C'est quoi?»
- « Un truc que j’ai arraché au cou d’un fellagha ».

 

Histoire terminée à cet instant précis.

Mais bon, je ne suis pas là pour refaire l’histoire.

 

Je souffre, ils souffrent, nous souffrons...

 

Ce soir « Cuvée de Turenne ». Terroir de Grès Rouge (Grès de Montpellier) : « ...issu principalement de syrah et de mourvèdre combinent équilibre, finesse et souplesse des tanins ».

 

Je suis pour la souplesse des tanins et celle de mon poignet qui porte le verre à mes lèvres.

 

Douzième jour

 

Dans la piscine rose, la mère que j’ai vue chez le médecin chantonne à l’oreille de son fils. Un vieux con lui dit de se taire, ce qu’elle fait.

 

L’enfant se met à hurler.

 

Au théâtre, des affiches annoncent le Festival d’Opérettes. Je reste rêveuse devant le Luis Mariano actuel, gominé et maquillé comme en 1950. Ca me rappelle mes 10 ans.

 

Je prends mon petit déjeuner dans le café où il y a le plus de bruit. Les turfistes, les discussions animées, les rigolades. Les bruits de la ville. La vie quoi...

 

Lu un article sur l’utilisation du cannabis pour atténuer les douleurs et tremblements dans certaines maladies... Dans les années 70 (1900...) j’ai essayé, comme tout le monde à l’époque, mais ça ne me branchait pas.

 

Mais maintenant que mon corps me fait mal, pourquoi pas ?

 

Je les vois les jeunes passer à mobylettes. 'ont entre 15 et 18 ans, filles et garçons pleins de santé. Peut-être que...'vais les suivre.

 

Des yeux, hein, parce que pour ce qui est de la marche, je suis du genre escargot. Sans la bave. Pas encore.

 

Me suis assise avec mon bouquin.

'm’ont un peu regardée de travers.

 

Qu’est-ce qu’elle fait là ? Y’a des parcs pour les vieux non ?

Faut qu’ils s’habituent à ma présence.

 

Les clopes passent de main en main. Je ne sens rien.

Faut que j’approche.

 

'me lève lentement, approche lentement et respire un grand coup.

 

Tellement fort que je m’étrangle.

Je tousse, je deviens rouge, les larmes aux yeux.

 

Une jeunette propose :

 

- «Cava?vousvoulezunpeud’eau?»

 

J’ai envie de dire :

 

« Non, je veux de l’herbe. Seulement de l’herbe... »

« Merchi, cha va... »

 

Ce qui les fait vraiment marrer... moi aussi.

Du coup, j’ai rien senti.

 

J’ai testé un « terroir mixte » Château La Dournie Cuvée Elise.

(Saint Chinian). Yes !

 

 

Treizième jour

 

J’ai fait plusieurs fois le tour de la ville, essayé tous les bancs, mon bouquin dans une main, un cigare dans l’autre. Observant un chat qui joue sous mon banc, regardant passer (lentement...) les gens.

 

M’emmerdant ferme quoi...

 

«C’est quoi ?» «Quoi ? C’est quoi ? Quoi?»

Je coasse maintenant...


Un Monsieur se penche vers moi.

 

« Vos cigares... comme marque".


J’ai donné la marque.


« C’est rare une femme qui fume le cigare. Surtout gros comme ça... »

 

J’ai failli dire que j’en fumais des plus gros, mais la cure ne m’ayant pas complètement ramolli le cerveau, j’ai évité. Ça aurait pu être mal interprété.

 

J’ai dû le voir à la cure. 'me souviens pas. Pourtant il est grand, jolie moustache.

 

J’essaie de l’imaginer avec sa charlotte, mais ça ne me dit rien.

 

« Il fait chaud ».
« Oui, très chaud ».
« C’est une petite ville, on en a vite fait le tour... »

« Oui, c’est pas grand... »

 

Dialogue plein de vie.


La Mamie dents serrées arrive.

 

« Bonne soirée », dit-il.

« Vous aussi... »

 

Je me sens très bête... Il doit s’ennuyer lui aussi, j’aurai pu faire un effort quand même. Mais j’ai la tête vide.

 

La Mamie parle de son fils, de sa vie au Havre.

J’écoute, émets quelques « oui », « ah bon » « ça alors ».

 

Elle apprécie. Et ça ne me fatigue pas.

Ce soir ce sera un « terroir schistes » :

 

Mas des Cerisiers Hautes Terres. (Vieussan).

Le vin c’est plein de vitamines non ?

Et mes neurones en ont bien besoin.

 

Quatorzième jour

 

J’ai parcouru les couloirs, sondé les piscines.

Pas trouvé mon amateur de cigares.

 

Fatiguée. Tension en forte baisse :

« c’est normal » dit le docteur,

« reposez vous ! »

 

J’arrête pas de me reposer.

C’est usant.

 

Du côté des jeunes, ils ne sont que deux.

Le plus âgé déplie du papier alu et roule un pétard.

 

Le paquet est remis dans la poche arrière.

Et tombe.

 

Qu’est-ce qu’ils attendent pour s’en aller, pas que ça à faire.

 

J’avance, l’air dégagé, enfin j’essaie... fais tomber mon livre, ramasse le tout et me rassois. S’ils reviennent, je peux négocier... fifty-fifty.

 

Je suis en position de force.

 

Et c’est là qu’arrive mon moustachu.

L’est pas flic quand même ?

  • -  « Vous avez changé de parc ? »

  • -  « Je les fais tous ».

  • -  « Moi aussi, mais là, c’est bruyant avec toutes ces voitures... »

  • -  « J’avais envie de bruit... »

  • -  «Vous êtes de Paris ?»

  • -  «Oui.Et vous ?»

  • -  « De Béziers ».

  • -  « Vous faites la cure ? »

  • -  « Non, j’accompagne un ami. Je peux vous offrir un verre ? »

  •  

    Je discuterai bien un peu, mais j’ai d’autres projets.

  • -  « Heu...ce serait avec plaisir, mais j’ai un rendez vous. Demain peut-être ? A la même heure ici ? »

  •  

    Je fourre mon livre dans mon sac et direct le Bureau de Tabac.

    J’ai colmaté le bas de porte de mon entrée, puis de ma chambre. Fermé volets et fenêtres de la cuisine. Laissé la porte du balcon ouverte. S’il y a des odeurs, on dira que c’est les jeunes d’à côté.

  • Les étudiants ça fume.


  • J’ai ouvert l’alu. Reniflé.

  • Pas le souvenir que j’en avais. Bon, on verra.

 

J’attaque. Comment on fait déjà ?

Putain ! Je tremble.... Ca m’énerve.

 

Quelques mouvements de gym, respiration par le ventre.

Je recommence. Tranquille. Tranquille.

 

'a une drôle de gueule mon joint !

Essai scientifique, pour plus trembler.

 

C’est ce que je dirai aux gendarmes...

 

J’allume. ..goût de tabac.

Pas le souvenir que...

 

Mal dosé ? A qui je pourrais demander ?

mes copines faisaient des gâteaux au chocolat.

 

Oui ; c’est ça !

 

Ce soir, c’est un Sacré Cœur Cuvée Jean Madoré. (Assignan).

 

Je ne regarde plus si c’est argilo, calcaire, mixte ou autre...

je déguste. Point.

 

Chocolat noir, sucre, enfin tout quoi...

Je touille et patouille.

 

L’herbe ça se met cru ou infusé ?

J’ai fait infuser.

 

Mis du café. Beaucoup de café.

Ça sent bon dans la cuisine.

 

J’ai testé au dessert. Un petit morceau.

Je ne boirai pas de vin.

 

Boire ou fumer, il faut choisir.

Encore que...

 

Bien, je me sens bien. Pas d’hilarité intempestive.

Pas d’angoisse. Bonne sieste. Réveil en douceur.

 

Merde ! J’ai raté mon rendez-vous.

10 minutes de retard.

 

Personne sur le banc. Pas patient le gars

 

Puisque c’est comme ça, j’vas prendre un p’tit verre ce soir...

J’ai attaqué un « terroir argilo-carcaire ».


Château Cazal Viel cuvée Larmes des Fées (Cessenon).

Ouais ! J’adore les Fées....

 

 

Quinzième jour

 

Mon prochain soin est dans 5 minutes.

J’ai le temps de grignoter.

 

Je pioche un morceau de mon en-cas anti bloblote.
Au moment où j’ouvre grand la bouche, j’entends :

 

« C’est un gâteau au chocolat ?"

J’opine du chef

 

« J’adore les gâteaux au chocolat. C’est vous qui l’avez fait ? »

 

Madame Michelet a les yeux fixés sur le morceau que je tiens à la main, la bouche toujours ouverte. Monsieur Michelet la suit de près.

 

« hum... ça donne faim... »

 

J’avale ma salive et propose :

« Un PETIT morceau ? » J’appuie sur le mot 'petit'...

 

« Avec plaisir... »

 

J’émiette comme je peux. Monsieur Michelet enfourne son morceau d’un coup. Emet un grognement de satisfaction. Madame Michelet prend la plus grosse part. Je commence à baliser...les imagine riant bêtement... et ... si ils se mettent à déconner...

 

« Hum ! délicieux ! dit Monsieur Michelet ».


« Oui, dit Madame Michelet. Je peux en reprendre ? »

 

«Heu...»


"Du gâteau au chocolat ! dit la préposée aux baignoires »

 

Il vaut mieux partager avec le plus grand nombre.

J’en offre à tous ceux qui passent et mange le dernier morceau.


Une heure plus tard j’ai la bougeotte. Pas la tremblote, la bougeotte. Un peu énervée quoi. Je fais des petits battements de pieds, tourne sur moi-même.

 

 

Comme Esther Williams.

Enfin presque. Je me fais rappeler gentiment à l’ordre :

 

- « ... en silence le soin, en silence ... »


Je ne bouge plus.


Madame Michelet arrive suivie de Monsieur.

Normaux, ils sont normaux.

 

« Je me sens bien, mais alors bien ! dit Monsieur Michelet. D’habitude à cette heure-ci j’ai sommeil ».

 

"Moi aussi, dit sa femme. Qu’est-ce que vous avez mis dans votre gâteau ? »

 

"Heu... rien de spécial, du chocolat noir et du café pour accentuer le goût du chocolat... »

 

« Faudra me donner la recette ! Il paraît que le chocolat est... » « ... très bon pour le moral oui... »

 

Cécile intervient :


« En silence, le soin, s’il vous plaît... »

 

Ils ricanent et sautillent comme des mômes.

Je vais voir comment va la dame aux baignoires.

 

Bien me dit-on. En pleine forme.

Pourquoi ?

 

Ce soir un seul petit verre, pour le fromage.

Ce sera Saint Chinian, Domaine de la Serre.

 

Je l’ai choisi à cause du texte :

 

« très belle robe d’un rouge pourpre. Le nez est complexe et légèrement animal. La bouche est puissante, souple, aux arômes de petits fruits rouges et de noyau de cerise ».

 

Je ne peux résister !

 

Le nez complexe et légèrement animal !

C’est moi ! La bouche puissante et souple... heu ...je sais pas...

 

 

Seizième jour

 

Enième tour de la ville.

J’ai repéré un Hôtel pour l’an prochain. Avec piscine.

 

Marre de faire les courses, la cuisine et le ménage.

Suis crevée.

 

Retour sur le banc du côté des jeunes.


J’ai eu du mal à m’endormir, sinon, rien de particulier.

J’ai pas dû mettre les bonnes doses.

 

Le jeune homme arrive seul et s’installe sur mon banc.

Je lis. Ou fais semblant.

 

Il sort le papier d’alu et se roule une cigarette.

 

« Qu’est-ce que c’est ? »
«Quoi ?»
« Dans votre paquet, qu’est-ce que c’est ? »
« Du tabac".
«Du tabac ?»
« Oui, pourquoi ? »
« Rien... heu... je croyais... »
« Que c’était de l’herbe ? ben non. C’est du tabac... Mais j’ai vu que vous

fumiez des cigares... Vous en voulez un?»

 

"Vais essayer..."

 

Mon moustachu arrive en face de nous avec une dame accrochée à son bras. 'm’ignore totalement Je les regarde s’éloigner.

 

Le jeune homme fait de même...

 

D’un coup mon système pileux se hérisse.

'me lève d’un bon et dis :

 

« QUELLE HORREUR ! »
« Elle est pas si horrible que ça....dit le jeune homme ».

 

Je le regarde, ne comprend pas ce qu’il veut dire.

 

« La dame...elle est pas si horrible que ça... »
« Non, non, ce n’est pas d’elle dont je parle, mais du... »

 

Je ne peux pas lui dire que j’ai shooté mes vieux au jus de tabac et au concentré de café !

 

ILS RISQUAIENT UNE CRISE CARDIAQUE !!!

QUELLE HORREUR ! MAIS QUELLE HORREUR !!!

 

J’ai besoin d’un remontant
Pas attendu l’heure du dîner.


J’ai attaqué un Domaine Canet Valette Ivresses

Oui à l’ivresse, Nom de Dieu !

 

Dernier jour

 

Cure terminée, valise bouclée Dernière poubelle à vider.

Demain « Château La Pompe ».

 

L’eau du robinet quoi.

Retour au bercail.

 

J’ai bu 10 bouteilles.

Une tous les deux jours quand même...

 

Soit 75cl x 10 = 750cl : 20 jours = 37,5 cl.
Soit 18,75cl par repas.

 

L’eau ferrugineuse c’est bon pour la santé :

c’est le docteur qui le dit.

 

Mais le bon vin c’est excellent pour le moral ET la santé.

Et puis c’est diurétique.


Si, si...

 

Non, je n’ai pas pissé dans la piscine.

Les autres, je ne sais pas...

Cure... faites en 2004...

 

Je vais bien......merci

 

Lolita Godinez Chérel

Relecture : Franck Brison





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