DIGNE DING DONG

Autrice : Lolita Godinez Chérel


 

 

 

Digne

Ding Dong




Ça y est. J'y suis...


Pas pu faire autrement. 

'peux plus monter les escaliers.

 

Pour les descendre, la dernière fois, ça a été en vol plané. Résultat : fracture, rééducation et maison de repos.

 

J’ai bien vu la tête des enfants : qui va la prendre la vieille ?

 

J’ai dit : je ne veux pas être un fardeau… J’avais pas fini ma phrase que j’étais là : Résidence Des Oiseaux.

 

Pourquoi pas des Dindes ou des Pintades. Avec tous ces cous qui pendouillent …y’a que des vieux ici, des vrais : rasoirs, pédants, radoteurs, barbants.  Mortels quoi…  

 

J’ai exigé une chambre individuelle. Pas eu besoin de piston.

Une grosse épidémie de grippe et hop ! ils cherchaient de la chair fraîche.

 

J’ai pu emporter mon lit, un deux places. Ils voulaient me mettre un une place ! C’est pas parce qu’on est âgés qu’on doit réduire son confort. J’aime m’étaler. Et puis on sait jamais il y a des vieux en forme ici, j’en ai vu. J’ai un déambulateur, d’accord, mais je recommence à marcher avec une canne, deux en fait, mais à par ça, ça va.

 

Et le « chat » sur Internet maintient ma libido à un haut niveau.

 

J’ai mon ordinateur portable, mon téléphone perso, l’ADSL et tout le tremblement.. Je vais sur les clubs de rencontre. 'me marre bien. 

 

Ils mettent des photos et en demandent de mon joli petit minois. Peuvent toujours attendre.

 

Y’en a un qui m’a montré son zob !  Le zob de Zeus

faisait coucou à la caméra ! J’ai failli avaler mon dentier tellement je  rigolais, puis la Surgé est arrivée.

 

J’ai eu le temps de claquer la souris et mon dentier a cliqué, enfin l’inverse…. quand on me fait peur, clac, mes dents claquent 

 

  • "On s’amuse bien à ce que je vois…mais il est l’heure de faire dodo…"
  • "On » n’a pas envie de faire 'dodo'.  'On' aime surfer sur le vaste monde… j’embête personne là …"
  • "Bon d’accord, elle a encore 10 minutes…"
  • « 'Elle' s’arrêtera quand elle sera fatiguée…"

Et devant sa mine légèrement contrariée j’ai demandé :

 

 

  • "Vous savez vous servir d'un ordinateur ?"
  • "Non, pas vraiment…"
  • "Alors on passe un accord : je vous apprends et vous me laissez jusqu’à … point d’heure ? Ok ?" 
  • "C’est bien parce que c’est vous…" minaude-t-elle. "Mais pas de bruit…"
  • "Je rirai bouche fermée…" 

J’avais visité cette maison de retraite, me disant : peut-être … un jour… plus tard …. ça a été plus tôt.    

 

Ma chambre est au rez-de-chaussée, sur jardin. Je pourrai sortir la nuit bien que ce soit interdit. J’aime les interdits, ça se contourne. Trouver la façon la plus originale pour tromper les vigilances. J’ai plein d’idées…

 

J’ai décoré ma chambre comme je voulais. Au mur mes masques Africains. Quelques peintures faites par mes petits enfants. Mes vinyles et mon électrophone avec d’excellents hauts parleurs.

 

Je ne leur ai pas encore fait le coup de la musique à fond. Pink Floyd, Beatles, Simon et Garfunkel, Archie Shepp, Nougaro. Ca les changera de Tino Rossi. Où d’André Claveau.

 

J’ai aussi gardé  mes livres préférés. Ceux que je relis régulièrement : Carson Mc Cullers, Fante, Cendrars, Genet, et plein de polars de toutes nationalités.

 

Pas des polars pan pan, je te tue. Non, des qui font réfléchir, des qui font découvrir d’autres continents, des manières de vivre. Et puis y’a plein de sexe dans les polars. 

 

Pour l’instant je suis une vielle dame digne. « Ding Dong » , dit mon petit fils…. collier de perles. Robe classique. Coiffure toujours impeccable. Cheveux blancs. Pas roses ni bleus comme certaines emperlousées d’ici.

 

Non. Bien blancs. Chignon. Mais pas sévère le chignon, quelques mèches volètent de ci de là. Petits cheveux qui donneront à celui qui voudra, l’envie irrésistible de les remettre en place. 

 

On me parle poliment. Je parle correctement. Pas encore gâteuse. Et je me demande quand même, parfois, ce que je fais là…. 

 

Bientôt, je marcherai avec une canne. Je la prendrai blanche.

Je l’agiterai devant moi en traversant la rue.

 

J’aime pas attendre que le feu passe au rouge. Derrière ma main collée sur ma bouche, semblant étouffer un cri de terreur, je poufferai.

 

La tête horrifiée des conducteurs qui « ont failli écraser une si charmante vieille dame » est vraiment très drôle.

 

Je rassurerai :

 

« … vous pensiez à autre chose …je sais ce que c’est… la vie… pas toujours comme on voudrait…  ». 

 

Les culpabiliser un peu... « j’ai l’âge de partir, vous savez… ne veux pas être un poids pour la Société… ».  Demanderai un remontant. 

 

  • "Une verveine ?"
  • "Un Armagnac …" 

Et les yeux pleins de larmes :

 

  • "Un double ? "

 

C’est toujours ça de pris.

 

C’est par parce qu’on est vieux qu’on aime plus les bonnes choses. J’aime les alcools forts, les cigares, les plats très pimentés. Et qu’on ne m’emmerde pas.

 

Quand je suis arrivée ici, c’était : …comment va la Mamie aujourd’hui ? elle a fait sa toilette ?

 

Me l’ont pas dit deux fois. J’ai prévenu : un coup de canne à qui m’appelle Mamie. Et j’ai appliqué… pas fort, je me  retiens, mais faut pas m’appeler comme ça. 

 

Tant que je tiendrai debout, je ferai seule ma toilette. Je ne veux pas qu’un morveux me torche le cul. Je crèverai avant. Je ferai tout pour. Je veux vieillir en forme. Pour l’instant ça va plutôt bien. 

 

Bon, je culpabilise un peu à cause des enfants. Elle coûte bonbon cette maison… j’ai une bonne retraite, mais faut quand même qu’ils participent un peu.

 

Quand je sens poindre une réflexion financière je prends les devants en parlant d’une voisine qui a dû retourner chez ses enfants. Ca les calme.  

 

Il y a deux salles à manger. Une pour les très atteints, ceux qu’il faut faire manger, qui bavent, qui sont attachés sur leur chaise. Mais qui bougent encore...

 

Et l’autre, pour ceux qui se débrouillent seuls. En fauteuil, avec déambulateur, cannes, béquilles, où totalement valides. 

 

Depuis peu, une porte coulissante sépare les deux salles.

 

Des résidents se sont plaints d’avoir à supporter la vue de ces « baveux ».  Ce ne fut pas présenté de cette façon, bien sûr, les termes « malheureux », « infortunés », « pauvres » ont certainement  été employés. Et le mot « dignité » aussi.

 

« Pour que ces malheureux puissent garder une certaine dignité… ».

 

Hypocrites ! 

 

Et ceux qui restent dans leur chambre. 

 

Il y a les « anciens », tables d’habitués, qui observent, épient, ragotent. J’ai repéré les teigneux, les ronchons, les joyeux drilles, les jamais contents, ceux qui terminent l’assiette de leur voisin, les vantards.

 

Les vieilles pies et leurs vieux beaux.

J’ai demandé à être seule. J’ai toujours un livre à la main. 

 

Tout en lisant, entre chaque plat, j’écoute quand même…   Discussions surréalistes parfois. Surtout entre ceux qui ont des problèmes d’oreille. On ne dit ni sourd ni mal entendant, c’est dévalorisant.

 

  • "Vous êtes allée à la selle ?" 
  • "L’attelle ?"
  • "Non ! la selle…"

Et montant d’un ton :

  • "Vous avez fait caca ? Non ?  vous avez droit à un lavement…  JE DIS :  VOUS AVEZ FAIT CACA ?… VOUS AVEZ COMPRIS ?  Si, si, vous y avez droit…. faut demander à l’infirmière, elle est là pour ça, faut pas hésiter à demander…"

En plein repas. Certains sont offusqués.

Moi ça me fait marrer.

 

J’imagine l’infirmière arpentant les couloirs, le sourire en banane,  poire à lavement en main : 

 

« s’il vous plaît, pour me faire plaisir… je vous en prie… »  

 

C’est comme ma voisine de chambre que je n’ai pas encore vue. L’infirmière la grondait :

 

Madame Garnier, cessez de mettre votre dentier à l’envers, vous faites peur aux aides soignantes… et puis arrêtez de parler allemand, je comprends rien..

 

Des bruits de vaisselle, d’eau qui coule et puis :

  • "Je veux du vin…"
  • "Vous voyez, avec votre dentier à l’endroit vous parlez français… Le vin, c’est pour midi, là c’est le matin. Un café au lait ? Du thé ?" 
  • "Où il est mon youpala ?"
  • "Le youpala c’est pour les enfants..." 

Les portes des chambres sont souvent ouvertes.

Pas la mienne.

 

J’ai mis l’étiquette « ne pas déranger » sur la poignée. 

 

  • "Z’êtes pas à l’hôtel" a dit la femme de ménage en riant.
  • "Ah bon, je croyais" j’ai répondu en fermant la porte derrière elle.
  • "Un chocolat ? une pâte de fruit ? un apéro ?" 

On s’est mise d’accord, elle termine son ménage par ma chambre. Et à nous l’apéro.

 

Quand je pourrais marcher normalement, à moi les jeans, les couleurs vives, les casquettes, et autres fantaisies. Et j’irai au resto, là où il y a du couscous, du carry poulet, des soupes thaï, du piment. 

 

Ici, c’est le style Darjeeling, petit doigt en l’air, lecture du Figaro.  Conversation autour de la bourse, de la réussite des enfants et petits enfants. Grandes écoles évidemment.  

 

Les vieilles peaux essaient de savoir d’où je viens, ce que je faisais, si je suis fréquentable quoi. Pourquoi je ne vais pas à la messe ?  On peut m’aider…

 

Je me suis abonnée à l’Humanité. Mon journal est posé sur le banc, bien plié. La curieuse en chef n’a pu résister.

 

Elle a dit « je peux ? ».

Et avant même que j’acquiesce elle l’avait dans les mains.

 

Quand elle a vu le titre sa bouche s’est ouverte.

Un petit cri en est sorti. A lâché mon quotidien. 

Comme s’il lui brûlait les doigts.

 

Est restée bloquée, la bouche en cul de poule.

J’ai gentiment demandé :

  • "Vous ne vous sentez pas bien ?"

Elle a hoché vigoureusement la tête de haut en bas.

Ça doit vouloir dire oui.

 

Si non ça aurait été de droite à gauche.

J’ai repris mon journal.

 

  • "Vous voulez que j’appelle quelqu’un ?"

Un « non, non… » étranglé est sorti de sa gorge. 

  • "Superbe votre nouveau fauteuil…"

Son index, parfaitement manucuré, cherchait fébrilement le bouton qui devait lui permettre de me quitter au plus vite. 

 

- "C’est là qu’il faut appuyer ?  Vous permettez ?"

 

Son regard affolé cherchait un soutien, une aide extérieure

J’ai appuyé. La machine a grondé, hoqueté …mais  pas bougé. 

  •   "Ne bougez pas…" ai-je, dit avec un grand sourire 

De la main gauche j’ai retiré ma canne qui bloquait les roues et de la droite j’ai tapé un grand coup sur le bouton. Tête collée au dossier, elle est partie comme une fusée. A poussé un petit cri. Toussé. Une mouche peut-être ?

 

Attaque de la pente un peu rapide…

Au passage du dos d’âne ses boucles roses ont cueilli quelques feuilles. Joli ! Hop ! Un autre dos d’âne.

 

Virage serré mais réussi.

Bravo !    

 

'a battu son record de départ sprinté en chaise roulante.  

Et celui de la descente sur une roue. 

 

Et c’est là que je l’ai remarqué. Il était assis un peu plus loin. Avec  un fou      rire incontrôlable. A fait signe, pouce en l’air. 

 

J’ai répondu pouce en bas. On s’est tout de suite compris. Il s’est levé, cramponné à son déambulateur, a bien mis une minute pour arriver près de mon banc et m’a demandé poliment s’il pouvait s’asseoir.

 

J’ai apprécié.

 

Depuis, on échange nos journaux.

 

Lui, c’est Libé et le Canard Enchaîné.

Moi l’Huma et Siné Hebdo. 

 

Comme j’ai le satellite, il vient regarder certains programmes. J’ai rajouté un fauteuil. Il me plaît bien.

 

Etienne, pas le fauteuil. Le fauteuil aussi d’ailleurs.

 

Comme dans le TGV les accoudoirs sont rabattables.

Très pratique. 

 

Aujourd’hui il a replacé une mèche derrière mon oreille.

En me regardant dans les yeux.

 

Je ne me souvenais plus de la sensation d’une main effleurant mon visage. Un délice.

 

J’ai passé ma main sur sa joue, du bout des doigts. Etonnant de redécouvrir le plaisir d’une caresse.

 

Puis on s’est embrassé.

Tout doucement. 

 

C’est bien beau tout ça, mais comment on fait avec un déambulateur ?  

 

On a essayé le lit. 

 

Déshabillage laborieux.

Gestes lents, doigts malhabiles.  

 

Les sous-vêtements ne volent plus à travers la pièce…                 Mon rêve d’équipée sauvage est au ralenti.

 

Très, très ralenti. 

 

Les roulés-boulés sont poussifs.

Impossible de reprendre de l’élan… 

 

Je ne me souvenais plus qu’un sexe d’homme puisse être aussi mou.

 

Dans ma jeunesse, ils étaient toujours en forme les hommes de mon lit.

 

Après moult manipulations, encouragements verbaux et oraux, j’ai pensé « bien joué ma vieille ! »  Il a dit « go ! ». J’ai répondu : Yes !

 

Telle l’alpiniste chevronnée que je fus, j’ai attaqué. 

Enfin essayé… 'a vraiment un gros ventre.

 

Pas de bourrelet d’amour pour s’accrocher.

Mon coude lui rentre dans le flan.

 

Un « aïe » me perce le tympan.

L’Annapurna, l’Everest à côté, c’est d’un fastoche !

 

Encore un petit effort et…

Une grande inspiration. 

 

J’assure ma prise sur son épaule. 

Le sommet est à ma portée.

 

Ouais !

je vais planter le drapeau !

 

Et …. non. 

Il a débandé.

 

Faut tout recommencer.

 

Vu nos âges, je savais qu’il serait difficile de le rendre performant, mais je n’avais pas pensé qu’il faudrait AUSSI le garder performant. 

 

Et la cloche du goûter à sonné. 

 

On s’est rhabillés en vitesse. Je l’ai fait sortir par la porte fenêtre. Et je me suis mise devant la télé.

 

Ça a pas raté, la porte s’est ouverte :

 

« c’est l’heure du goûter ! »

« J’ai pas faim, non merci »

« Si, si, il faut venir… ». 

 

J’ai mis mes chaussures, recalé mon chignon et je l’ai suivie.

 

Le pas traînant, avec ma canne anglaise.

 

J’ai décidé de me servir d’une seule canne.

Je me tiens à la rampe quand même. 

 

Attablé avec son copain il a déjà le nez dans son thé.

Je m’assieds en lui tournant le dos.

 

'me suis mise dans un coin où je sais que personne ne viendra me déranger . Je grignote et émiette un bout de quatre quart...

 

Sors mon carnet et mon crayon….

Ça les intrigue ça…le carnet….

S’ils savaient… 

 

Bon faut que je réfléchisse. Le lit, ce n’est pas le pied.

Le fauteuil ?  Trop profond. Pourra pas se relever.

 

Faut trouver un truc où il soit assis, et où je n’ai pas à gravir une montagne. 

 

Mais oui !  Mais bien sûr !

Le tabouret….et le déambulateur. ! !

 

Je range mon carnet, mon crayon et me dirige vivement vers ma chambre. 

  • "Vous n’avez pas mangé vos fruits…" râle la diététicienne 
  • "...votre canne !"  dit la serveuse. 

Tiens ! c’est vrai !

Je  marche sans canne….

 

Je ferme ma porte, la bloque avec la table roulante, pas entièrement sinon ils auraient des soupçons…

 

Je cale les pieds du déambulateur contre le mur.

Installe le tabouret. 

 

Je m’assieds. Bien.

Il peut se cramponner et être assis normalement. 

Puis je me mets à califourchon, face au mur. 

 

Bien aussi. Je peux me tenir aux barres.

Faudra se servir des deux déambulateurs.

Face à face, en creux… 

 

Je me relève, remets  ma Jupe en place.  

                   

J’échafaude des scénarii…

 

« Avec ma canne…je pourrais … » 

 

La porte tape contre la table.

Je jette mon manteau sur ma construction. 

  • "Désolée, je rangeais un peu….…"

La Surgé me tend la canne que je commence à faire tourner autour de mes doigts..

  • "Qu’est-ce que vous faites ? "
  • " Majorette…" excellent pour les articulations.
  • "Vous êtes une marrante vous

Ne voit pas mes bricolages. 

Heureusement ! …

 

Je ne peux quand même pas lui dire que je prépare ma prochaine sauterie… et qu’avec tout cet appareillage ça ressemble de plus en plus à une scène sado maso… 

 

Retournons aux choses simples.

Il n’a qu’à prendre la petite pilule bleue… c’est vrai ça...  

 

-  "Vous ne vous êtes pas inscrite à la soirée Dalida". 

  • "Je déteste Dalida. Edith Piaf aussi….merci quand même..."
  • "Vous ne participez pas à grand-chose…"
  • "...si, si, la gymnastique, la piscine, le cinéma… mais c’est vrai, je ne suis pas très groupe… je ne m’ennuie pas, si c’est cela qui vous inquiète… je lis beaucoup, je marche..."
  • "…et j’ai vu que vous entendiez bien avec Monsieur Etienne…"

Mes antennes frétillent.

  • "Nous échangeons nos journaux… et oui, nous aimons bavarder…"
  • "Bien, c’est bien… c’est un monsieur charmant…"

Et moi, je ne suis pas charmante ?

Occupe-toi de tes oignons.

 

Où il est Monsieur Etienne ?

Dans ses chaussons Madame Ducon…

  • "Vous voulez une protection ?"

Elle me propose des préservatifs ? 

 

 -   "Hein ?"

  • "Une couche…"

Un fou rire me prend.

On ne dit plus  « couche », c’est humiliant, on dit 'protection'.

  • "Non, non. Ça va" 

J’ai rêvé de couches culottes.

Nous, les résidents, étions dans un grand parc pour bébés commençant à marcher.  Couches culottes plus où moins flottantes. Lunettes, barbiches, Figaro à la main..

 

Moi je tirais sur  la couche d’Etienne 

« t’es tout sale ! faut la changer »  

 

Et lui m’en empêchait

« y’a que Manman qu’a le droit….pas toi.. »

 

La rigolade en me réveillant !!! 

Il résiste ?...'va pas résister longtemps…

 

J’ai retrouvé Monsieur Etienne sur notre banc.

Tout sourire.

 

'm’a demandé si j’avais bien dormi.

'a aimé notre après-midi.

 

Pas eu le temps de demander  on recommence quand ?

 

Son copain est arrivé.

 

"Rééducation" a-t-il dit en montrant sa montre.

 

"Musclez-vous bien" ai-je bêtement dit.

Ils sont partis. 

 

Je ne suis pas allée sur Internet.

Voir des sexes en érection me déprime.

 

Coup de fil d’un de mes enfants :

  • "Paraît que t’as pas le moral ?"
  • "Mais si j’ai le moral…c’est la Surgé qu’à cafté ?  Pas voulu aller à la soirée Dalida. T’y serais allé toi ?"  
  • "Non !" 
  • "Ben tu vois…"
  • "On vient samedi. On apporte quoi ?"
  • "Whisky, armagnac, vieux rhum…"

Sont sympas, ils m’apportent ce que je veux.

Je vais leur demander un sac à dos.

 

Je pourrais porter moi-même mes bouteilles.

J’ai essayé le filet à provision, mais ça cogne dans les jambes.

Et puis on voit ce que j’achète. 

 

Je fais des exercices d’assouplissement.

 

Pas facile de mettre un sac à dos quand on a des rhumatismes.

 

Main en bas, bras en arrière, relevé par le dos, en haut, devant. De chaque côté. A répéter souvent.

 

Dans deux semaines c’est bon. J’aurais plus à demander.

Et quand ils m’en apporteront, ça me fera une réserve.

 

Faut que je trouve où les planquer.

Une bouteille par semaine c’est pas exagéré.

Paraît que c’est bon pour les artères, alors ! 

 

Bon. Un point de réglé.

 

Pour la gaudriole, je ne peux pas demander à mes enfants.

 

A 70 ans ils pensent que j’en ai suffisamment profité.

Enfin, je pense qu’ils le pensent.

On n’en a jamais parlé. 

 

Et si je demandais à des vieux ?

Des vieux avec bedon…

 

J’ai pas été déçue… les vieux n’ont pas répondu.

Mais les autres …. j’ai pas donné mon âge hein… 

  • "… levret …"  
  • "… gro bid, gde q" 
  • "… I voi p où i va…"
  • "… émoroid ?"
  • "… t procto ?"
  • "… MDR…"
  • "fo tt ecyer …"
  • "laisser muser la bête…"

J’ai eu un peu de mal à décoder :

 

-  "levrette..." Ok

-  "gros bide, grande queue ?"

-  "I voit pas…"  OK 

-  "émo… roid ?"…. c’est quoi ça ?… émotion roide ? 

 

Je réfléchis intensément.

La réponse est « t procto ? »

 

  • "T Procto ?… Procto… Procto…Proctologue ?" ah oui ! ! ! !  hémorroïdes ! ! ! ! 

Je suis contente de moi.

J’ai tout compris.

 

Et après ? il y a quoi après ?

  • …..MDR …? ? ?…  MDR…  Mordre ?  

Le dernier doit être poète… 'laisser muser la bête'…

 

Ils ont proposé plein de choses, le Kama Soutra à côté, c’est de la lecture pour maternelle… et je vais nettoyer mon ordi.

 

Si mes petits enfants voient ça… ils savent que je suis parfois étrange, et ça les fait bien marrer, mais là… 

 

'me suis endormie avec le mot « Mdr…. Mordre … »

 

Et réveillée en forme. J’ai encore des projets.

Mordre. pourquoi pas ?

 

Faut seulement que je mette un peu plus de colle sur mon dentier. 'l’aurait l’air malin avec un dentier planté dans…

  • "Bonjour ! Petit déjeuner à l’anglaise ! Œuf à la coque, toasts,  saucisses…."   
  •  "? ? ? ?"
  • "Pourquoi vous riez ?"

J’ai sorti l’Armagnac.

Il apprécie.

 

Il a un nouveau déambulateur.                                

Avec poignées anti-ampoules. Je rêve !

 

Il renifle son verre et dit :

  • "Quel dommage qu’on ne puisse passer la nuit ensemble, le matin je suis en forme, très en forme..." 

Il me fait un clin d’œil.

Coquin je suppose. 

 

Ouais, ben moi, le matin, je ne suis pas en forme. 

  • "Je préfère les après-midi…"

Boit son verre cul sec.

  • "Il est bon votre Armagnac, mais je préfère le Cognac".
  • "Eh bien la prochaine fois vous en apporterez…" 
  • "Mes enfants ne veulent pas…"
  • "Et vous leur obéissez ?" 
  • "Mon ami, Monsieur Prévost, vous voyez de qui je parle ?"  

Je fais oui de la tête.

 

"… il en a autant qu’il veut … Son fils habite…"

 

Je me fous de l’endroit où habite Monsieur Prévost. 

  • "Et vous en buvez tous les jours ?"
  • "Oui. Mes enfants le savent pas, faut pas leur dire… faut pas dire à mon ami que je vous l’ai dit..."  
  • "Oui, il serait obligé de m’inviter…  et ça vous en ferait moins  à déguster…"
  • "Vous avez tout  avez tout compris dit-il avec un grand sourire".

Les radins ! 

 

Il regarde enfin le déambulateur  

 

- "C’est… pour nous ?"

 

Bien. Il a l’esprit vif.

Je suis un peu gênée quand même.

 

Mais bon, j’assume.

  • "J’ai pensé que…"

Il se lève. Je l’aide à s’asseoir sur le tabouret.

Il se tient aux barres. Je mets l’autre déambulateur face à lui.

 

Il apprécie l’ingéniosité.

Et je me dis que ça manque de romantisme tout ça… 

 

Il se relève se penche… et le déambulateur dérape...

 

J’avais pas pensé au tapis !

Pas pensé à la règle de 3 : réflexes ralentis, poids du sujet, surface du tapis.

 

Telle une escrimeuse portant la touche finale, je me jette en avant, la crosse de ma canne agrippant ses bretelles d’un geste souple et ferme du poignet, je le fais basculer vers le lit ou il rebondit.

 

Sauvé ! Il est sauvé !

 

Je l’imagine le pantalon sur les chevilles.

Par où aurais-je pu le rattraper ?

 

J’en ai froid dans le dos. 

 

Je l’aide à s’asseoir. Il est un peu sonné.

Ça vaut bien un autre Armagnac.

 

Ebahi.

Il est ébahi.  

  • "Vous avez pratiqué….  l’escrime ?" 
  • "Oui, et la plongée sous marine, le parachutisme, le ski de fond, alpin et nautique, l’escalade, la savate, le judo…"

Bouche ouverte il est.

  • "Ça va ? vous voulez un autre Armagnac ?"

Il opine… de cheval, comme dirait ma mère.

Je toussote pour cacher  mon rire.

 

Une touffe de cheveux pointe au dessus de son oreille. 

 

Je crois bien qu’il porte une moumoute.

Moi qui pensais m’agripper à son  opulente chevelure …. 

 

Je ne sais pas si c’est le contre coup de la chute sur mon lit, ou le trop plein d’Armagnac, mais Monsieur Etienne a gardé la chambre.

 

« S’est fait mal en mettant ses chaussettes » a dit M. Prévost. « Tour de rein… ». J’ai dit : de RIEN ? ». « Le dos » a hurlé ce zozo.

 

J’ai quand même vérifié.

J’ai sauté sur mon lit.

 

Sur le côté, sur le dos, à plat ventre.

Elle est bien ma literie. Il a bien rebondi. 

 

Chochotte le chéri… 

 

Une semaine pour se retaper…

'l’ai retrouvé sur notre banc.

 

En forme, souriant.

Avons parlé de la pluie et du beau temps.

 

'ai demandé :

  • "Comment va ?"  
  • "Baaahhh…  heu… j’ai passé des examens et le médecin a dit que  heu… j’avais… euh… des problèmes… euh…"
  • "De prostate ?"
  • "Oui…"
  • "A nos âges, normal qu’il y ait des difficultés, il faut seulement savoir ce dont on a vraiment envie. Vous pouvez peut-être vous faire aider…"
  • "Pour quoi faire ?"
  • "Ben… pour avoir une érection".
  • "Hein ?"
  • "Le médecin peut vous donner les petites pilules magiques… vous en sûrement entendu parler… ?"

     Il me regarde, horrifié.

  • "'faudrait que je la prenne… avant… qu’on..."
  • "Je ne sais pas…"
  • "…que je prévoies nos rendez-vous… ?" 
  • "…oui.. peut-être que…"
  • "Et si on ne se voie pas ?" 
  • "…je ne sais pas.. 'faut demander à votre médecin".

Il ne bouge plus….

'a vraiment un regard bovin parfois…

 

 J’ajoute gentiment :

  • "Ce sera  comme quand vous étiez jeune …la montée des  escaliers .. le désir…"    

Il répond du tac au tac    

                                                                                                "J’ai toujours pris l’ascenseur…"

 

Il me gonfle là ! 

  • "Je ne peux pas !"

Il a le souffle court, les yeux exorbités. 

  • "J’aurais l’impression…"

S’étrangle à moitié. 

  • "…d’être un homme objet !" 

Je lui souris 

 

"Mais c’est ce que vous êtes, Etienne. Un homme objet…"

 

Il s’est levé furibard.

A tracé avec son déambulateur.

 

Au moins du 5 à l’heure.

Mètres, pas kilomètres.

 

Comme quoi, quand il veut …

 

Je suis restée dans le jardin. 

Le soleil est doux aujourd’hui.

 

J’ai lu les journaux, écouté, observé les oiseaux

 

Des bruits de voitures m’ont fait tourner la tête.

Deux ambulances arrivent en même temps.

 

De l’une sort un brancard. 

De l’autre une chaise roulante. 

 

Des mains se tendent.

J’entends une voix tempêter :

  • "Je n’irai jamais là-dessus ! pourquoi pas une chaise percée pendant que vous y êtes !"

Un homme sort en s’appuyant sur une canne.

Une main essaie de l’aider. Il la repousse et m’aperçoit.

  • "Chère madame … laissez-moi !" dit-il en tapant sur la main. 

Je vois la Surgé courir vers les chambres.

Encore un qu’à clamsé…                           

 

Ça tombe comme les mouches en ce moment. 

 

Le nouveau se tourne vers moi. 

  • "Vous aimez les jeux de Société ?"

Il me fait un gros clin d’œil.

  • "Le jeu de Dames ?"
  • "C’est mon préféré…" dis-je en souriant.
  • "Papa ! Tu vas pas recommencer !" excusez-le…
  • "Quoi Papa !"

Monsieur Prévost accompagne un brancard.

Je me soulève un peu.

 

C’est Monsieur Etienne, avec des tuyaux partout.                       Sûr, il n’aurait pas supporté la petite pilule bleue… 

 

Le nouveau trottine accroché au bras de sa fille.

  • "… je m’appelle Roméo…"
  • "… et moi Juliette !" 
  • "… super !"

Je ne m’appelle pas Juliette.

Lui doit s’appeler René.

 

On va faire comme si…

On va bien s’amuser. 

 

Lolita Godinez Chérel

 Relecture : Franck Brison

 





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