CHRONIQUES DU TRÈS BAS MONTREUIL

Camarades !


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Photo Bar Le Havane, chez Momo
Bar Le Havane. Dans le cadre, photographie du père de Momo. Dans l'angle, un camarade disparu.
Éric Lamouroux
Éric Lamouroux




- « Merde, comment on va grimper ce canapé là haut ? » elle me dit.

 

- « Ben je sais pas, mais pas par les escaliers, ça fait chier, mais ça passe pas. » je lui réponds.

 

- « Ben ouais, j’ai bien vu, et par la fenêtre, t'y arriveras jamais, c'est trop haut et t’es pas assez fort pour le lever jusque là."


Elle n'était pas furax, mais était quand même bien vénère. 

Je savais très bien, que dans sa tête, j'étais responsable de cet échec.

 

Je la regarde qui me regarde, et dans son regard, j’entends clairement ce qui se dit dans sa tête : 

 

‘C’est vrai quoi ? C'est quoi ce mec, qui met des mois avant de commander le sofa que je lui ai dit que je voulais, et qui n'est pas foutu, quand il est enfin arrivé, de l'installer dans le salon. 

 

En plus, il m'a niqué le dos avec ses conneries, à essayer de le faire tourner dans l'escalier. Et allez vas-y, il m’engueule en plus ; monte le plus haut, a bout de bras… 

 

Attends, tourne le comme ça, mais non, pas comme ça. Pivote et tire en même temps. Oh, t’as deux bras gauches ou quoi ? Quoi ? je suis déménageuse moi? Et justement hein ? Pourquoi il a pas pris l'option livraison et installation ? Pour gagner quoi ? Cinquante balles ? Quel crevard !’

 

Cinquante balles, non mais elle croit quoi elle ? Je me casse le cul moi, espèce de chieuse, à les gagner ces cinquante balles. C'est pas pour les filer à deux mecs, pour 5 minutes de boulot. Oh, c'est vrai quoi ? Et puis, qui est-ce qui l'a retapé cette maison ? Hein, qui est ce qui a fait d’une ruine une maison ? Combien ça nous aurait coûté si on avait fait appel à des sociétés ? On aurait eu le pognon ? Quelle casse couilles, bordel !

 

Bien sûr, tout ça, je fais comme elle, je me le dis dans la tête. On est déjà bien assez énervé comme ça, tous les deux, et je n'ai pas envie d'en rajouter. Mais quand je relève la tête, elle me regarde depuis l'encadrement de la fenêtre, à l’étage. Et je n'aime pas ce regard condescendant, alors…

 

- « Putain oui je ne suis pas assez fort pour soulever seul un canapé trois personnes à bout de bras. Et même si j'étais MUSCLOR, tu serais assez balèze toi, pour le maintenir, le temps que je monte pour le faire basculer à l’intérieur ? »

 

Touchée !

Mais pas coulée, elle lève les yeux au ciel.

 

- « Il va pleuvoir. Elle dit. »

 

Elle referme la fenêtre et me plante là. Je me retourne pour regarder là ou elle a levé les yeux aux ciel. Bordel, elle a raison. Des nuages menaçants se dirigent vers nous.

 

Je ne sais pas comment m'en sortir avec mon canapé neuf qui va prendre la flotte. Faut que je réfléchisse, alors je vais boire un coup. Pas loin au Havane, le café restaurant qui touche ma maison. Idir, le patron m'a chaleureusement accueilli dans le quartier, et c'est sacrément pratique d'avoir un bar au taulier sympathique près de chez soi.

 

- « Un casa, Eric ? »

- « S'il te plaît Idir. »

 

Je me trouve une place au bar entre plusieurs groupes de gros bonhommes de la CGT qui se marrent et parlent fort, insouciants à mes ennuis. Que des costauds, des métallos ou des dockers, en tous cas, pas des grattes papiers. Le bâtiment directeur de la cégete est un peu plus bas Rue de Paris, mais leur QG est au Havane. Mon casanis arrive.

 

- « Ça y est, t'as installé ton canapé ? Ta femme est contente ? »

- « Non, fait chier, il ne passe pas l'escalier, elle me fait la gueule et il va pleuvoir sur ce putain de canapé neuf. »

 

J'ai dû parler trop fort, les syndiqués ont stoppé net leurs conversations. Certains me regardent, semblent compréhensifs à mon désarroi, les autres gênés pour moi, font mine d'observer le liquide dans leur verre. J'ai comme l'impression d'avoir cassé l'ambiance alors je lève mon verre.

 

- « Santé les amis, désolé pour le coup de gueule. »

- « Et il habite loin le camarade? me demande celui au bout du bar. »

- « Non, juste à côté. » répond Idir.

- « Ben, avec les camarades, on peut aller voir si on peut faire quelque chose pour lui. »

 

Et je rentre dans la cour suivi d'une dizaine de colosses. Face au canapé posé au sol devant la façade, il leur faut dix secondes pour évaluer la situation. 

 

- « René, Yannick et Kamel avec moi en bas et deux autres qui montent avec le camarade pour réceptionner. »

 

Les deux autres, bien que je leur dise que ce n’est pas nécessaire, enlèvent leurs chaussures en rentrant. Comme un con, je les enlève aussi. Arrivés à l’étage, ils s'excusent auprès de ma femme pour le dérangement. J'ouvre la fenêtre, il pleut  à verse, et le canapé est déjà en lévitation près du rebord. Une grosse voix dessous lui nous presse.

 

- « Bon, vous le chopez, on a pas l'habitude de boire autant de flotte nous. »

 

On bascule le canapé à l'intérieur. Ma femme commence à virer le plastique protecteur, Les gars à l'étage sont tout sourire. Je regarde par la fenêtre, les gars en bas, sous la pluie, sont tout sourire.

 

- « C'est bon ? » ils demandent. 

- « C'est bon, putain, merci les gars. Attendez moi j'arrive, je paye un coup. »

- « T'inquiète pas camarade, installe ton canapé tranquillement, on est pas loin, et pas près de bouger. »

 

J'aide ma femme à finir de déballer le sofa, on s'assoit dedans, il est sec et confortable.

 

- « T'as assuré chéri ! »

- « Merci, je vais chez Idir remercier les camarades. »

- « Je viens avec toi. »

 

J'ai payé un pot, les camarades m'ont offert des barriques. Ils nous ont assis à leur table et on a mangé le couscous ensemble. Idir a dégainé les bouteilles de rouge et on a bâfré joyeusement. Au dessert, Dikris qui commençait à être bien pompette, s'est excusée, elle a fait la bise et remercié chaque camarade. Puis elle est partie rejoindre son canapé. 

 

On a alors enchaîné les digeos, ils m'ont montré des photos de leurs gosses, de leurs femmes, m'ont certifié que elles non plus n'étaient pas toujours faciles. Et puis Idir a dû baisser le rideau, on s'est embrassé sur le trottoir, les camarades sont rentrés à leur hôtel et moi je suis rentré chez moi.

 

Ma femme dormait sur le canapé, j'ai soulevé ses pieds, me suis calé dans les coussins et j'ai reposé ses pieds sur moi. L'assise était confortable.

 

- « T'as assuré chéri, Elle a murmuré. Je t’aime. »

 

Bienheureux, je me suis endormi, sur le nouveau canapé.

 

Éric Lamouroux


Les Metallos - 1938 -

Durée : 35mn

 

Présentation du syndicat des ouvriers de la métallurgie (C.G.T.) de la région parisienne, de ses actions, de ses activités, et de ses conquêtes sous le Front populaire.

 

Réalisation : Jacques Lemarre 






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Commentaires: 4
  • #1

    Mimi (samedi, 12 décembre 2020 09:13)

    J'adore tes histoires mon p'tit frère. Continue !!!

  • #2

    Eric (samedi, 12 décembre 2020 09:50)

    Merci Mimi.
    Un petit message comme ça, m'encourage, alors...
    Promis, je continue.
    Bises

  • #3

    Nathalie (lundi, 14 décembre 2020 13:48)

    super ce texte ! ça nous met dans l'ambiance direct. Jolie plume, Lams.

  • #4

    Eric (lundi, 14 décembre 2020 14:53)

    Merci Nathalie.