Henry David Thoreau
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Penser par soi-même
ou la philosophie de l'action
Introduction
« Comment ne pas être esclave du système ? », se demande Alexandre Lacroix, philosophe, romancier et directeur de la rédaction de Philosophie Magazine. Il a manifestement pris moins de quatre heures pour répondre, dans son essai de 90 pages, ce que Georges Brassens avait résumé en une phrase : « La seule révolution possible c’est d’essayer de s’améliorer soi-même, en espérant que les autres fassent la même démarche ». En réalité, le chanteur « anarcolibertaire » ajoutait : « Le monde ira mieux alors. »
Plus sérieusement, le cofondateur de l’école d’écriture « Les Mots », « vulgarise » sa pensée pour s’adresser au plus grand nombre, en faisant le constat suivant : « Nous sommes de plus en plus nombreux à en rêver : échapper au système, à cette maximisation du profit, partout, tout le temps, qui ravage nos sociétés et la planète. Mais rompre avec le mode de vie dominant exige des sacrifices que peu d’entre nous sont prêts à consentir. Entre la pleine adhésion et la fuite, un chemin existe-t-il ? »
Oui, répond Alexandre Lacroix - grâce à son ami éditeur Guillaume Allary - , qui plonge aux racines de notre malaise en dévoilant la logique de notre modernité connectée, ce monde où l’auto-entrepreneuriat, le télétravail et les vérités alternatives déclinées sur les réseaux sociaux effacent les frontières entre sphère publique et sphère privée, temps de travail et temps de loisir, exploiteur et exploité, vrai et faux. Mettre à nu cette mécanique donne à chacun de nouveaux repères et nous permet d’introduire du jeu. En s’affranchissant de l’utilitarisme dominant, en se donnant un idéal non négociable qui guidera notre action, il est possible de reprendre en main les rênes de nos existences.
La quatrième de couverture est très claire. Pour préciser sa pensée, l’auteur dit reconnaître trois types d’atteinte à notre « intégrité psychique », dixit (en fait notre liberté de penser) : les réseaux sociaux, en gros, qui transforment nos réflexions en punch-line ; la mauvaise appréhension du temps « réel », à cause, une nouvelle fois, des nouvelles technologies (écrans, digitalisation, internet…, etc) : enfin, encore une fois, la satisfaction en un click : on obtient tout rapidement (à condition d’en avoir les moyens financiers, petit scarabée…).
Bref, Alexandre Lacroix semble très, trop connecté. Il s’en rend compte heureusement, puisqu’il prône une « philosophie de l’action » (ouf ! il était temps de s’en rendre compte). Il a beau sortir des mots à cent dollars, comme « postutilitarisme » (se déclarer responsable d’un morceau du monde), on lui suggère de sortir de son bureau, et de Paris, pour aller marcher dans les bois, comme Walden, et Henry David Thoreau, auteur de La Désobéissance civile. A force d’enfoncer des portes ouvertes, il finira peut-être par réaliser qu’un autre monde existe. Constitué de gens qui luttent et résistent depuis un bail aux différents diktats sociopolitiques, moraux, religieux, etc… Vieux motard javanais.
Tout ça pour dire que la totalité des essais écrits durant toute sa vie par Thoreau est publié en français
pour la première fois. Avant le Passeur, les éditions Finitude, basées à Bordeaux, avait déjà bien défriché le terrain. Le
présent volume regroupe la totalité des essais écrits durant toute sa vie (1817-1862).
Au total, près de quarante textes, dont dix sont traduits, et donc présentés pour la première en français, répétons-le. Du premier rédigé à vingt ans jusqu'au dernier, révisé
sur son lit de mort, toutes les thématiques chères à Thoreau s'y retrouvent. Leur ordonnancement chronologique permet de suivre le fil de sa pensée, son évolution, ses bifurcations, et ses
engagements. À côté de ses essais célébrant différents aspects de cette Nature (quand il évoque les
« sauvages », les amérindiens, il faut remettre ça dans le contexte) qu'il n'a cessé d'arpenter (pour de vrai, in situ, comme John Muir, à qui les américains
doivent les parcs nationaux), on trouve des textes qui sont de véritables bréviaires de sa philosophie vécue sans concession, et des brûlots politiques qui, bien qu'inscrits dans un
contexte historique particulier, n'en continuent pas moins de résonner jusqu'à nous.
Car c'est le propre de Thoreau de transcender ce qu'il vit à un instant pour lui donner une dimension plus ample qui trouve des échos avec nos propres interrogations. Ce que dénonce ou célèbre Thoreau nous parle plus que jamais : le temps pour soi (déjà !), la simplicité volontaire, l'attention à la nature (une évidence), l'hégémonie de la valeur travail (à discuter…), la soumission à l'argent (forcément), la désobéissance civile (enfin !), le recours à la violence pour une cause que l'on croit juste... éh hé… Toujours d’actualité.
À côté des deux seuls livres qu'il a publiés de son vivant et de son immense journal, ces essais constituent l'autre chef-d'œuvre de Henry David Thoreau, son indispensable complément, son précieux prolongement, qui fait de son auteur notre contemporain.
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