BIOGRAPHIES : JOSEPH KESSEL, LA VIE JUSQU'AU BOUT + HENRY MILLER, LA RAGE D'ÉCRIRE

Marc Alaux, Valentine Imhof


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Miller / Kessel ou les mangeurs de vent.


Introduction


Il est des auteurs que je ne cesse de lire et relire. Ils m’accompagnent, comme des amis fiables, tant il est vrai qu’un bon écrivain est un écrivain mort (ah ! qu’il est bon de s’auto-citer…). Parmi eux les frères Jack, London et Kerouac, mais aussi Panaït Istrati, Blaise Cendrars et quelques autres. Il y a aussi et surtout Joseph Kessel et Henry Miller (nous verrons plus loin). 

 

Parce que leur vie fut à l’image de leurs livres : un chef-d’œuvre, fait de voyages et de belles histoires d’amour et d’amitié. Ils ont vécu pour mille, ne se sont pas contenté d’exister, comme disait London… Ils ont écrit, agi, bourlingué dans le vaste monde. Jusqu’à 80 berges, à l’instar de Miller et Kessel. C’est comme ça que je voudrais mourir : épuisé d’avoir pleinement vécu.


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© éditions Transboréal
Marc Alaux
© sous réserve de droits




 

Bref, ayant lu la formidable biographie d’Yves Courrière sur « Jeff », le surnom de Kessel (un chef d’œuvre du genre, publié chez Grasset), j’étais curieux de voir ce qu’allait bien pouvoir écrire de plus l’ami Marc Alaux, qui se trouve être un de mes éditeurs préférés (si, si, c’est vrai).

 

Mais avant tout, rappelons qui était Kessel, pour celles et ceux qui ne le connaissent pas encore (la chance que vous avez… de découvrir un tel homme !). 

 

Journaliste de métier, écrivain par vocation, et homme d’action, Joseph né en 1898 à Clara, en Argentine, et mort dans le Vexin en 1979, Joseph Kessel fut un voyageur d’exception et un grand journaliste-écrivain. 

 

De l’émigré russe bagarreur à l’homme de lettres vedette de l’Académie, de Pigalle à Vladivostok en passant par Shanghai, le Yémen et la Patagonie, du Lion à L’Équipage sans omettre Les Cavaliers, il s’affirme en homme assoiffé d’aventure. 

 

Mais au-delà de la légende, au-delà du résistant courageux, du bourlingueur et du noceur impénitent, se distingue un être touchant épris de liberté et débordant de passion pour les autres. Un homme assidu dans l’exercice de l’amitié et qui dévora la vie jusqu’au bout. 

 

Bon, j’avoue, là j’ai pompé dans l’argumentaire… 

 

Mais je connais tellement bien sa vie (moins son œuvre, en vérité) que ce n’est pas important, ni grave. L’essentiel est dans le contenu du livre de Marc Alaux, grand voyageur lui-même, et surtout inlassable marcheur (les vrais bourlingueurs utilisent leurs jambes pour se déplacer). 

 

Il n’est donc pas étonnant que ce spécialiste de la Mongolie (voir ses œuvres complètes) se soit intéressé au fou furieux qu’était Kessel, grand buveur de vodka et véritable aventurier (cf : Les Cavaliers et l’Equipage). 

 

Avec cette biographie inspirée, « accompagnée de miscellanées ludiques », dixit les éditions Transboréal (qui publia mon Sur la route again), Marc Alaux, éditeur et auteur, notamment de La Vertu des steppes, Petite révérence à la vie nomade, vous invite à rencontrer « l’empereur » au fil de ses tribulations, et à découvrir comment vécut cet homme exceptionnel, qui osa s’engager corps et âme, que ce soit pendant la seconde guerre mondiale, ou dans sa vie privée, comme dans son métier de journaliste, façon Albert Londres, avec la plume acérée d’un scalpel.


Couverture Henry Miller la rage d'écrire #biographie. #EtatsUnis #Récits #Romantisme #BeatGeneration #Liberté #Scandales  jpg
© éditions Transboréal
Valentine Imhof
© Arnaud Delrue




Dans un autre genre, et dans la même collection, toujours chez Transboréal - l’éditeur des vrais baroudeurs -, la bio d’Henry Miller par Valentine Imhof, est également passionnante. 

 

On sent qu’elle aime cet auteur inclassable (le quasi frère jumeau de Blaise Cendrars, pour la personnalité), autant qu’a dû l’aimer Anaïs Nin. 

 

H. Miller (à ne pas confondre avec Arthur, l’auteur de théâtre) est un peu le père non déclaré de la Beat Generation et des mouvements de la contre-culture américaine des années 1960… 

 

C’était surtout un homme libre, comme Istrati. 

Un vrai libertaire vouant un culte à l’amitié. 

 

Nourri de Thoreau, Whitman et London, adolescent, il rêve de nature et de grands espaces, et souhaite se confronter à l’Amérique mythique et éternelle, celle des chasseurs de bisons, des trappeurs et des chercheurs d’or (comme Kerouac, qu’il ne rencontra jamais, de la faute de Jack, intimidé). 

 

Mais il a vite le sentiment d’être né trop tard, se sent exilé à New York (Brooklyn), sans racines dans une ville grise et monstrueuse qui a pour lui la dureté et la froideur d’un cachot. 

 

Il ne voit pas où est sa place dans cette société du début du XXe siècle qui a pour valeurs réussite matérielle, production de masse, profit et consommation effrénés. 

 

N’évoquait-il pas le « cauchemar climatisé », en parlant de son pays de naissance ? Lui l’homme-monde. 

 

Un colosse « de Maroussi » (un de ses meilleurs livres de voyage, en Grèce). Il refuse de devenir un rouage de la machine (capitaliste, disons le mot), un citoyen, un fils, un époux modèle et de se conformer aux attentes, d’où qu’elles viennent. Il n’assure pas la reprise de la boutique paternelle, rejette l’esclavage organisé qu’est pour lui le monde du travail et crache sur les promesses de faux bonheurs achetés à crédit et vantés par les enseignes.

 

Un jour de 1922, « flemmard » autoproclamé, il décide, après plus de trente ans de désabusement et de dilettantisme professionnel – qui lui ont fait exercer des dizaines d’emplois précaires –, de devenir écrivain. 

 

Écrire, sinon rien, écrire coûte que coûte, puisque tout le reste a lamentablement échoué, écrire pour échapper à la folie et peut-être à la mort, écrire pour saisir le monde à bras-le-corps, écrire pour s’éprouver et tenter de comprendre qui il est. 

 

Il se lance dans cette ultime échappatoire avec l’énergie et la rage du désespéré. L’écriture devient une lutte de chaque instant, un combat vital pour celui qui a associé de manière étroite « écrire » et « vivre ». 

 

La persévérance dont il fait preuve est alors admirable. Il suffit de le lire pour comprendre. Autodidacte, comme Jack London, encore une fois, Henry Miller est également un lecteur prodigieux, vorace, gourmand. 

 

La compagnie des livres lui permet de chercher les écrivains dans leurs œuvres et de trouver sa place parmi eux, de s’inscrire dans une généalogie littéraire, de se constituer une famille, dont il choisit les membres, dans laquelle il peut avoir plusieurs pères, plusieurs frères et quelques sœurs, de tout âge, de toute époque, de toute culture et de tout continent, avec qui les affinités sont évidentes et tellement plus grandes que celles imposées par la filiation biologique.

 

Henry Miller a 43 ans quand il se fait connaître avec Tropique du Cancer, censuré aux Etats-Unis. Le combat ne fait que commencer parce qu’il doit ensuite batailler pour être édité et surtout lu. En effet, pendant plusieurs décennies, les censeurs condamnent ses œuvres pour obscénité, en interdisent la vente et contribuent à construire l’image du personnage sulfureux qui lui a servi, tout en nuisant à sa réputation. 

 

Miller ne s’est jamais réellement remis de ce succès à scandale, qu’il n’avait ni anticipé ni voulu, mais dont il avait, en revanche, pressenti les dommages collatéraux. 

Miller = sexe = stupre = décadence. L’accent mis sur quelques pages, de quelques ouvrages seulement, l’a installé au rayon des écrivains licencieux, pourvoyeurs de sous-littérature, et a fait perdre de vue l’auteur prolixe qu’il fut. 

 

Il compte des dizaines de romans, essais et nouvelles, sans oublier sa correspondance. Car Miller était aussi bavard à l’écrit qu’à l’oral. 

 

Créateur infatigable et iconoclaste, Henry Miller a choisi de chanter sa joie de vivre : manger, boire… baiser, voyager. Sa verve érudite, sa faconde débridée en fait de lui un auteur singulier hors norme, hors mode. Ses textes n’ont pas vieillis. Un bon écrivain est un écrivain immortel, en réalité.

 

Guillaume Chérel

 

Joseph Kessel : la vie jusqu’au bout, de Marc Alaux, 187 p, 14, 90 €, Transboréal, et Henry Miller : la rage d’écrire, de Valentine Imhof, 187 p, 14, 90 €, même éditeur, collection Compagnons de route.



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