ROMAN : LA VIE DES MORTS

Jean-Marie Laclavetine


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L'Écrivain qui parle aux morts


Couverture La vie des morts   #Récit #Témoignage #Mort #Soeur #Deuils #Vivre #Amis #Fêtes #Humanité #Littérature #Écriture #Empathie



Introduction


Jean-Marie Laclavetine n’est pas médium mais c’est tout comme : il parle aux défunts qui l’ont accompagné dans sa vie. A commencer par sa sœur, Annie, qui s’est noyée sous ses yeux, en novembre 1968, alors qu’il était adolescent. Il en a tiré un récit émouvant, « Une amie de la famille » (Folio, 2019), centré sur le silence qui a enseveli les siens. Un livre qui a suscité tant de réactions, révélé tant de coïncidences et de retrouvailles, voire de surprises et de découvertes, dixit l’auteur,  qu’il a ressenti le besoin d’écrire la suite. Le « making-off », pour ainsi dire, puisqu’il livre les coulisses de l’écriture de ce « prolongement » (comme on dit « prolonger » la vie), intitulé « La vie des morts ».


Jean-Marie Laclavetine n’est pas médium mais il en a les dispositions, puisqu’il est écrivain et éditeur. Il a publié une vingtaine d’oeuvres de fiction mais il confesse qu’il se sent désormais incapable d’en écrire à nouveau, tant la réalité l’a remué, bouleversé. Il a l’impression d’être vraiment né à quinze ans, ce jour, a priori funeste, qui lui a pris sa sœur. 

 

Oui, il réalise, en écrivant, se confiant, qu’il ne serait sans doute pas le même homme, si « ça » n’était pas arrivé. Tout comme il ne serait pas le même s’il n’avait pas assisté, médusé, horrifié, mais fasciné, à la disparition de Porthos, le mousquetaire (vous avez bien lu), que Dumas laisse mourir, à son grand dam, dans « Le Vicomte de Bragelonne »… 

 

Le parallèle peut sembler étrange, léger, hors sujet, mais c’est tout le contraire. Ce jour-là, il avait découvert la force de l’écriture. En somme, il suffit de relire Dumas pour ressusciter Porthos… « Ecrire, c’est tenter de saisir en soi ce qui est plus précieux que soi ». Consciemment ou pas, avec ce deuxième livre, Jean-Marie Laclavetine prolonge la courte vie de sa sœur, alors étudiante en espagnol, de vingt ans.

 

Mais reprenons depuis le début. Jean-Marie Laclavetine a mis cinquante ans pour se décharger de sa douleur (en se passant de psy : pas besoin, répétons-le, il est écrivain), lorsqu’il est parti à la recherche du souvenir de cette sœur aînée, Anne-Marie, partie trop tôt, comme on dit, dans des circonstances tragiques, un week-end à Biarritz, le 1er novembre 1968. Point besoin d’avoir lu cette « confession » (quoiqu’il nous en donne envie), pour se plonger, et être captivé, par l’onde de choc qu’a provoquée son « enquête », réalisée une fois que ses parents aient eux-mêmes disparus. 

 

Il ne cherche pas à découvrir qui elle était « vraiment » (deux points de vue s’opposent : dépressive ou pétillante), ni à la faire « revivre », évidemment (mission impossible). Rétrospectivement, il réalise que la douche glacée de cette mort soudaine l’a comme réveillé, éveillé à la « vraie » vie. Celle faite de belles rencontres, et de bons moments présents. 

 

Les témoignages, par mail et lettres, de celles et ceux qui ont connu, voire aimé sa sœur, qui ouvrent le récit, sont très touchants, évidemment. Mais les plus belles pages sont peut-être la galerie de personnages, la cohorte des autres chers disparus de sa vie (la liste exhaustive serait trop longue ici). De Roger Grenier à Cavanna, en passant par Siné, et des amis inconnus du grand public, mais qui méritaient de figurer dans un livre (c’est fait).

 

« Le livre, seul, n’est pas une entité isolée, rappelle Jorge Luis Borges, il est une relation, il est l’axe d’innombrables relations ». Ecrire, lire, et publier les autres, fut pour Laclavetine mieux qu’une thérapie : ça l’a rendu plus grave, peut-être, au fond de lui, mais surtout plus clairvoyant, sensible, voire sensuel, dans l’empathie.

 

Laclavetine déclare son amour à la littérature, plus forte que la mort, donc à la vie quasi éternelle de nos chers disparus. Comme disait Proust : « L’absence n’est-elle pas, pour qui aime, la plus certaine, la plus efficace, la plus fidèle des présences ? ».  La sœur de Jean-Marie Laclavetine aurait eu soixante-douze ans, au moment où il écrivait ces lignes. Or, dans sa mémoire ce sera toujours sa grande sœur, mais de vingt ans seulement : « Il faut garder dans sa main celle de l’enfant que l’on a été », disait Cervantès. 

 

Loin d’être lugubre et larmoyant, lorsqu’il s’adresse à sa sœur, il s’écrit aussi à lui-même, adolescent traumatisé. Adulte, il tente de relativiser en se demandant ce qu’elle serait devenue : aurait-elle été #MeeToo, aurait-elle voté Macron, etc ? Mais le sujet reste grave. La question n’est pas tant d’accepter la mort de ses proches, mais de savoir comment vivre sans eux.

 

Laclavetine n’affiche pas un ton d’enterrement lorsqu’il écrit. Grâce à ses talents de conteur, au moyen d’une belle écriture, légère et pure - plutôt classique mais pas du tout ampoulée -, le « soixanthuitard », malgré lui, relate de joyeuses anecdotes festives, souvent bien arrosées, qui donnent envie de se taper un bon gueuleton. A l’image de sa fêtarde de sœur (comme une vraie basque espagnole !), effrontée, voire insolente et libre. On l’imagine ainsi. 

 

Plus que de « puissance » de l’écriture, il en explique l’aspect quasi magique, surnaturel (surtout la poésie). Comme si les mots (le verbe, le récit) avaient le pouvoir de remplacer les morts (les habitants du passé). De les surpasser même ! C’est bien connu, nombre de personnages de romans sont plus charnellement vivants que certains de nos contemporains, si « lourds » (comme dirait L.F. Céline), avec déjà un pied dans la tombe, et que leurs créateurs (leurs auteurs, ces petits dieux). 

 

C’est en interrogeant les vivants, pour raconter sa sœur, qu’il s’est rendu compte que les morts avaient davantage à lui dire… à nous dire. Et ce qu’ils nous disent, c’est de vivre intensément. Laclavetine est un passeur.

 

Guillaume Chérel

 

La vie des morts, de Jean-Marie Laclavetine, 

200 p, 17 €, Gallimard.







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