ENTRETIENS : MANCHETTE, DERRIÈRE LES LIGNES ENNEMIES

1973-1993. Réunis par Doug Headline, édition établie par Nicolas Le Flahec. Préface Jacques Faule


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#Auteur #Scénariste #Traducteur #VoixSingulière #RomanNoir #NeoPolar  #Engagement #Rebelle #Radical 


Manchette servi par lui-même


Jean Patrick Manchette  Derrière les lignes ennemies  #Auteur #Scénariste #Traducteur #VoixSingulière #RomanNoir #NeoPolar  #Engagement #Rebelle #Radical



Introduction


« Je préfère être fou comme je suis que normal comme Pasqua », répond Jean-Patrick Manchette à Yannick Bourg, pour le météorique journal Le Jour. Nous sommes le 17 mai 1993, à l’hôpital Saint-Antoine, où il est interné au service psychiatrique (il souffrait d’agoraphobie, entre autres). Il n’a plus que deux ans à vivre. Mais tout est là, ou presque, son intelligence, sa lucidité et son humour décalé : « Il faut de tout pour faire un monde, ou pour le défaire », conclue-t-il, en paraphrasant ce mot récupéré dans Les Enfants du paradis.


Dashiell Hamett livres

Manchette est connu pour être le père du « néo-polar », qu’il s’est empressé de déconstruire, pour s’amuser, dixit, tout en respectant les codes du roman Noir hard-boiled (dur à cuir), lancé par Dashiell Hammett, son modèle à jamais. Il ne cesse de le répéter dans ses entretiens (avec certains journalistes, triés sur le volet, lui qui se méfiait des médias) réunis par son fils, Doug Headline (ce mot signifie manchette en anglais), et Nicolas Le Flahec entre 1973 et 1993.

Impossible de résumer ici l’ensemble de ces vingt années de réflexion sur un genre (le polar), devenu une « marchandise » récupérée par le « marché » (de la culture, de l’’édition comme du cinéma… qui l’a nourri et éloigné de l’écriture de romans), dès les années 70. C’est encore lui qui le dit, comme il aime à répéter qu’il s’est toujours inspiré du roman (noir) américain, et du cinéma anglo-saxon. Non pas parce qu’il y est question de « méchants » de droite et de « gentils » de gauche, mais parce qu’il croit encore non pas à la révolution, au Grand Soir, mais à l’effondrement de la société (capitaliste), pour résumer. S’il s’inspire des meilleurs c’est tout de même pour faire autre chose. Ecrire autrement. Manchette a beau dire qu’il se méfie de la littérature « noble » (qui se regarde écrire), il se distingue par son style, sa voix singulière, et ses références d’intellectuel érudit (que ce soit en matière littéraire, politique, ou de jazz : il connait évidemment Dos Passos, Hemingway, Kerouac, qu’il commença à imiter ado). Il s’adonne à de « l’hybridation stylistique », le plus éloigné possible du roman policier à énigme (Poe, Doyle, etc… même si Sherlock est shooté).


Jean-Patrick Manchette livres

Chacun y trouvera son compte. Les plus politiques essaieront de comprendre son cheminement, son engagement intellectuel (il est très clair sur Mai 68, mouvement récupéré par les bourgeois, futurs « conseillers municipaux », comme il l’est avec les staliniens, trotskystes et gorbatchéviens…). Bien que « gauchiste » dans sa jeunesse, il s’est vite éloigné des manœuvres bureaucratiques des différents groupuscules marxiste pour devenir franc-tireur (en position du tireur couché…) et créer le MBS (Mouvance Banana Split), ce qui veut tout dire… Les passionnés de littérature constateront qu’outre Hammet, déjà cité (et Chandler), il considère Flaubert comme le maître (lui-même entendait faire vomir les bourgeois), tout en refusant de s’essayer à la « littérature de qualité » (la « blanche », comme on dit quand on est publié à la Série Noire, chez Gallimard). La seule et unique fois sera pour la publication de Fatale (titre prémonitoire), refusé pour manque d’actions et qui fut un échec critique et commercial. Il reconnaîtra lui-même être allé trop loin avec cette histoire de jeune femme qui voyage de ville en ville, dans des milieux bourgeois, à qui elle propose ses services de tueuse à gages.

 


Jean-Patrick Manchette romans

De son vivant, il confesse apprécier Weslake, Crumley, Ellroy, Cook (l’anglais vivant en Aveyron, pas l’auteur de thrillers médicaux), entre autres, chez les anglosaxons, et Daeninckx et Prudon en France (Vautrin l’agace parfois). Sans oublier ADG, son pendant réac, qui a autant d’humour, si ce n'est plus (sauf que Manchette se méfie des calembours). Il a évidemment lu Simonin, Léo Malet, Siniac, Amila/Mecker, Bastid avec qui il coécrit Laissez bronzez les cadavres… Et le Chasseur Français ! Auquel il s’est abonné pour son style plat et détaillé (Manchette aime la précision. Il est imbattable sur les modèles d’armes à feu, et quand il se trompe, ça le rend malade jusqu’à ce qu’il puisse corriger). Quitte a choquer les aficionados, il y a un côté Manchette chez Houellebecq, quand il cite les marque et décrit au scalpel les intérieurs de chaque protagoniste, et/ou leur physique.

Au départ, Manchette voulait faire du cinéma. Comme ses scénarii étaient refusés, il s’est dit que s’il écrivait des polars avec de l’action (« Ne pas rester trop longtemps sans tuer quelqu’un », lui conseille-t-on) et des jolies filles en voiture, les producteurs s’intéresseraient à lui. C’est à peu près ce qu’il s’est passé. Pour gagner sa croute, nourrir sa famille, il a notamment écrit pour la télé (le feuilleton Les Globe-trotters) et le cinéma « olé-olé ». Puis pour Alain Delon, qui achète les droits de ses meilleurs polars. Tant pis s’il les vide de leur substance politique. Même avec Chabrol, qui adapte Nada, il n’est pas d’accord, mais s’en contente. Enfin, il aime traduire.


Jean-Patrick Manchette polars

Après être passé à Apostrophes, il remarque à Bernard Pivot (vexé) que son émission aurait pu être meilleure, sous-entendu avec des meilleures questions. Les lecteurs de Manchette y retrouveront un auteur inimitable. Sa voix reste étonnamment moderne parce qu’elle est libre et sans concessions. Quand il confesse avoir cédé à l’industrie du cinéma, c’est pour expliquer qu’il a dû se faire à l’idée qu’un réalisateur s’empare de son livre pour en faire autre chose ; à la suite de l’adaptation de Nada par Chabrol. Ce serait se battre contre des Moulins à vent… Du moment qu’il a été payé (et bien !), il préfère passer à autre chose.

 

L’ouvrage n’évite pas l’écueil des redites mais comme s’est répété autrement, ça passe. On remarquera qu’il n’a pas évolué, changé tant que ça en vingt ans. Manchette est resté rebelle, radical et tout sauf moutonnier. Il ne suit pas, il montre la voie, puis se retire sur un autre terrain. Il explore d’autres registres, en sachant la plupart du temps allier le fond et la forme. A la fin de notre lecture, on ne peut s’empêcher de penser au nombre de polars « différents » (il n’en a publié « que » dix, tous aussi différents les uns que les autres) qu’il aurait pu écrire, si le travail d’écriture alimentaire ne l’avait pas épuisé, et/ou s’il n’avait pas été emporté jeune (à peine plus de cinquante ans) par un cancer.

 

Qu’aurait-il écrit ? : « Vivre dans les banlieues (…) tombe malheureusement en dehors de mes capacités ordinaires, écrit-il en 1991 (pendant les émeutes de Vaulx-en-Velin, du côté de Lyon ndla). C’est la seule voie intéressante ouverte au roman noir français actuel. ». Pessimiste, ou lucide, Manchette a très tôt pensé que l’art était mort. On ne ferait que répéter différemment… comme des perroquets plus ou moins doués pour copier les illustres devanciers. Difficile d’échapper aux « clichés », reconnait-il, alors il « ruse », en procédant à des clins d’œil. Comprenne qui pourra. 

 



Jusqu’au bout, Manchette massacre, détruit, dégomme, et rebâtit, comme s’il s’agissait d’un jeu. Comme un enfant surdoué… presque autiste Asperger. Ultrasensible. Ce qu’il appréciait le plus comme qualité chez un homme (et une femme), c’était l’intelligence. Ses livres sont pourtant conçus pour être lu, à plusieurs niveau, degrés, comme de simples polars de gare, lors d’un voyage en train ; de préférence en bonne compagnie.

 

Guillaume Chérel

 

 

Manchette : derrière les lignes ennemies (entretiens 1973-1993), réunis par Doug Headline, édition établie par Nicolas Le Flahec. Préface de Jacques Faule, 300 p, 24 €, la Table Ronde.





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