ROMAN : ASCENCEUR POUR PÉKIN

Clovis Fouin


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Le clap de fin d'un intermittent du spectacle


Ascenceur pour Pékin #Récit #Témoignage #Intermittent #SociétéSpectacle #Stars #Industrie #Cinéma #Chine  Clovis Fouin



Introduction


Comme tous les intermittents du spectacle, Clovis Fouin a commencé par des panouilles, plus ou moins intéressantes (et/ou bien payées). Au début de sa carrière, il se souvient avoir été au casting d’une pub pour une sauce kebab, dirigée par feu Jean-Yves Lafesse, qui voulait voir de la « peur dans ses yeux » : « Action ! Mange ce kebab, putain ! ». Il a aussi connu les tournées, dans les MJC, avec des compagnies formées de bric et de broc, composées de camarades de jeu plus ou moins professionnels. L’essentiel étant de « faire ses heures », d’avoir suffisamment de cachets pour gagner de quoi… vivre des indemnités chômage. 


 

Encouragé par sa mère, en pamoison, et soutenu, de loin par son brocanteur de père, à la gouaille pas possible - un personnage au vocabulaire à la Audiard, revisité par San Antonio, avec qui il a fumé son premier joint : « L’héroïne, ça rend vif comme un flageolet trop cuit (…) Il avait le QI d’un extincteur (…). », qui ne pense qu’à « gratter » ce qu’il peut (il n’a pas de carte bleue), là où il peut (paie tout en cash), - il se débrouille plutôt bien. Entre deux rôles de « méchants », à la télé, depuis plus de dix ans, il joue au théâtre des pièces adaptées et/ou montées par lui-même et la compagnie dont il fait partie (Le Nouveau Théâtre Populaire). Bref, malgré les difficultés, inhérentes au métier de saltimbanque, il en veut. Il y croit. Et il a raison.

 

Un jour, son téléphone sonne. Un « chasseur de têtes » de l’ANPE lui propose un casting… en remplacement d’Adrien Brody. Celui du Pianiste, de Polanski, oui. Il s’agit d’un film d’action « patriotique » chinois, China Salesman, avec à l’affiche l’ex-champion du monde de boxe, Mike Tyson, et le roi du film d’action des années 1990 : Steven Seagal (Piège en haute mer). C’est un film de série B, voire Z, un « nanar », qui ne sortira pas en salle… mais ça en jette. Direction « Chinawood », le Hollywood chinois, pour des mois d’un tournage kafkaïen, bien encadré par le parti communiste. C’est une galère sans nom, mais Clovis est considéré comme une « star » (il joue super bien les méchants !, don’t forget), et surtout c’est bien payé, puisque étalé sur des mois de tournage. Enfin… de préparation de tournage. Parce que ça traine vraiment en longueur, pour des raisons mystérieuses, et/ou essentiellement financières et d’organisation.

 

Plutôt que de se morfondre, et de se plaindre de ne pas jouer sa grande scène du Cid, dans les pas de Gérard Philippe, il tient le coup (Clovis ne signifie-t-il pas « vaillant au combat » ?) et en tire un livre (Ascenseur pour Pékin), non seulement hilarant mais révélateur d’un métier difficile qui attire toujours plus d’imposteurs, sans talent, attirés par ce miroir aux alouettes. Seuls les plus patients, et persévérants, survivent, sans être bouffi d’ego. C’est que Clovis a des références : Lino Ventura, Jean-Pierre Mocky, Tati, Manchette, et Belmondo, sans doute… 

 

Peu avant le premier tour de manivelle, une assistante chinoise le contacte : « Bonjour, je m’appelle Mao Mao, je suis chargée de m’occuper de toi. ». C’est comme si un type, à Roissy, lui disait : je m’appelle De Gaulle De Gaulle… On lui confie une clé USB, contenant un film (L’associée du diable) qu’il doit visionner pour se préparer au rôle, sans oublier de la rendre au réalisateur. Evidemment, il oubliera régulièrement de lui rendre, ce qui occasionnera la colère du « réal » et la révolte de l’acteur intérimaire. Encore faut-il qu’il ait droit au petit-déjeuner à l’hôtel : c’est sa première revendication. Il n’y a pas de syndicat sur place mais le Parti communiste chinois ne doit pas être alerté du moindre souci, en général.

 

Pour tout dire, ce film chinois, c’est comme le Désert des Tartares, de Dino Buzzati. Il passe son temps à attendre, jusqu’à ce qu’arrive enfin Mike Tyson, lequel, apprenant son prénom (Clovis) entreprend de lui parler de l’Histoire de France, depuis Charlemagne, et Saint-Louis. L’empire romain ? « A fuckin disaster ! », d’après l’ex-roi du K.0. Sans parler de ces « motherfuckers » de barbares… Qu’il vienne donc jouer à la PS4 avec lui dans sa loge. 

 

La suite est à l’avenant. Les dialogues sont drôles. Les anecdotes savoureuses. L’humour étant la politesse du désespoir, Clovis Fouin a pris le parti d’en rire. Tel un clown, une fois dans les coulisses, il enlève son nez de clown et pleure (intérieurement) de rage. C’est qu’il a tellement à donner. Lui, c’est une cicatrice, au menton, qui le caractérise. Grâce à ce look de « méchant », il a rencontré Mike Tyson, avec qui il a « joué » doublement, et découvert la Chine. Il en a tiré un livre, étonnamment bien maîtrisé pour un coup d’essai. Du haut de ses 32 ans, il sait qui était Alain Pacadis (journaliste à Libé),  et connait l’histoire de la scène des années 70, « l’agitprop » et le théâtre engagé. 

 

Sous couvert de rigolade, c’est tout un pan de la société du spectacle qu’il décrit, après Guy Debord. In situ (ationniste)… La fameuse industrie du cinéma, qui broie les personnalités les plus faibles. Lui ne se laissera pas abattre. Son père n’est pas un biffin et sa mère, comme sa collègue de femme, aimante et solidaire, le soutiennent. L’été dernier, il jouait du Molière au Festival d’Avignon (« Le ciel, la nuit et la fête »), et dans le « In », s’il vous plait. Pas le off. Ouf ! Le off, il a déjà donné… Clovis Fouin est non seulement un acteur à suivre, mais un auteur à lire.

 

Guillaume Chérel

 

Ascenseur pour Pékin, de Clovis Fouin, 

325 p, 21 €, Nil Editions.





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