Isabelle Bauthian, Sandrine Revel, Jessica Oublié, Nicola Gobbi, Kathrine Avraam, Vinciane Lebrun
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Chroniques de San Francisco



Cliquer sur la photo pour voir et entendre Armistead Maupin nous parler de son livre préféré !
Je me souviens avoir lu quelques tomes de la série des Chroniques de San Francisco, d'Armistead Maupin, il y a une bonne quinzaine d’années (si ce n’est pas vingt). Ses livres m’avaient donné envie de retourner à San Francisco, sur les pas de Jack Kerouac et London. L'adaptation, en BD, de cette saga best-seller m’a donné envie de relire les livres plutôt que de regarder la série adaptée pour Netflix.
Les dialogues de Maupin sont évidemment toujours aussi savoureux, et la trame psychologique est magnifique de précision et de finesse : « Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts », disait Isaac Newton. Cela pourrait être la devise de ce roman graphique, au pays du Golden Gate et d’Ashbury St, qui se lit d’une traite, tant on est happé par le charme et l’intelligence des personnages.

Nous sommes à la fin des années 1970, en pleine époque du Flower Power. C’est encore le summer love, que n’a pas encore gâché l’épidémie de Sida. La jeune, et plutôt coincée, Mary Ann Singleton débarque dans la baie après avoir coupé le cordon ombilical et quitté son Ohio natal (un bled de rednecks, en gros). Elle trouve refuge dans une sorte de pension familiale, au 28 Barbary Lane. La propriétaire, Madame Madrigal, semble pittoresque (en guise de bienvenue elle distribue des cigarettes qui font rire aux nouveaux arrivants), mais sous ses faux airs foldingue, elle materne ses locataires avec une grande chaleur humaine, sans être intrusive ni cu-cul la praline. Surtout pas. Elle leur parle cash. Les jeunes locataires qui se lancent dans la vie en ont tous besoin car : « s'il ne pleut jamais, en Californie, les larmes en revanche peuvent y couler à flots », dixit Maupin.

San Francisco est en passe de devenir la ville de la liberté sexuelle et de l’acceptation des différences mais ça reste une grande ville américaine, où il faut faire sa place, et où les loyers sont déjà très chers. Bref, Mary Ann va devoir s'adapter à cette nouvelle vie, Mona la délurée vient de perdre son emploi, et Michael cherche l’homme de sa vie… j’avais oublié qu’on croirait voir évoluer des amis, comme dans Melrose Place, Plus Belle la Vie, ou Friends, mais mis en scène par par un mix entre Woody Allen et Larry David (l’humoriste-producteur) version gay and goy.
L’adaptation d’Isabelle Bauthian est parfaite, même si on s’y perd parfois dans les ellipses, l’atmosphère est là. La complexité des situations est bien amenée, et l’humour acide des textes d’Armistead Maupin intact. Grand coup de chapeau à Sandrine Revel, dont les dessins aux couleurs arc-en-ciel, évidemment, donnent une idée parfaite de l’époque. On croirait voir les personnages bouger tant elle sait leur donner vie, comme cette voiture en mouvement qui doit soudainement freiner. Du beau travail, qui fait honneur à une légende du mouvement LGBTQ+.
Chroniques de San Francisco, d’après les romans d’Armistead Maupin, adaptation d’Isabelle Bauthian et Sandrine Revel au dessin, 123 p, 19 €, Steinkis Editions.
Tropiques toxiques
le scandale du chlordécone




« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait », a écrit Mark Twain. Ce pourrait être le credo de Jessica Oublié, retournée aux Antilles, dont elle est originaire, où elle a découvert, médusée, un scandale qui touche l’exploitation bananière, que la métropole Française tente d’étouffer depuis des années. Celui d’un pesticide qui avait pourtant déjà fait des ravages aux Etats-Unis, des années auparavant, sous un autre nom : le Kepone.
Rappel des faits. La banane est l’un des principaux fleurons de l’économie des Antilles françaises, la Guadeloupe et la Martinique. Afin d’en assurer le rendement, un pesticide au nom particulier, le chlordécone, y a été utilisé très largement entre 1972 et 1993.

Aujourd’hui, le cancer de la prostate s’y développe de façon exponentielle (*). Les terres sont contaminées pour des centaines d’années. Et la molécule est présente dans les corps des 800 000 personnes qui y vivent.
Sous prétexte produire davantage qu’en Afrique (que la scénariste connait bien), ou en Amérique du Sud, à qui la France livre une guerre économique, ce produit chimique va encore souiller longtemps les terres de Martinique et de Guadeloupe.
« Dans quelques centaines années, en ce même lieu, un autre voyageur, aussi désespéré que moi, pleurera la disparition de ce que j’aurais pu voir et qui m’a échappé. Victime d’une double infirmité, tout ce que j’aperçois me blesse, et je me reproche sans relâche de ne pas regarder assez », écrivait Claude Lévi-Strauss, dans « Tristes tropiques.
A sa manière, au moyen de la bande dessinée, Jessica Oublié, aidée de l’épidémiologiste Luc Multigner, pose la question de la responsabilité, qui doit encore être tranchée devant les tribunaux. En attendant, les Antillais doivent résoudre une question tout aussi essentielle : comment vivre dans un environnement à jamais pollué ?
L’autrice a mené une véritable enquête journalistique, fouillée, photographiée, et dessinée, de main de maître par, respectivement, Vinciane Lebrun et Nicola Gobi. Plus qu’une BD ludique, c’est une œuvre pluridisciplinaire, un travail d’équipe, maîtrisé de bout en bout, qu’il faut lire lentement, avec attentions, tant il y a d’informations à assimiler, et de détails graphiques à admirer. Plus qu’un BD, un documentaire pédagogique salutaire.
Tropiques Toxiques : le scandale du chlordécone, de Jessica Oublié (texte et scénario), avec Nicolas Gobi (dessin), Katrine Avraam (couleur) et Vinciane Lebrun (photo), 239 p, 22 €, chez Steinkiss, collection Témoins du monde.
(*) Afin de soutenir les expérimentations menées par l’équipe du laboratoire Covachim-M2 sur les parcelles polluées de Guadeloupe, les auteurs ont ouvert sur Leetchi.com la page de financement participatif : Dépollution Chlordécone – Laboratoire Covachim-M2, accessible sur smartphone en scannant un QR-Code publié dans la BD, ou en cliquant directement ici.

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